Gabon : le plaidoyer des magistrats à l’Assemblée nationale pour un retour à la paix au sein des tribunaux

Auditionné le 12 juin 2023 par les députés membres de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Germain Nguema Ella, président du Syndicat national des magistrats du Gabon (SYNAMAG), a, interpelé le sens patriotique des députés pour adopter aux formes consensuelles, le nouveau statut des magistrats actuellement en examen à l’Assemblée nationale.  Le magistrat syndicaliste s’est offusqué quelques jours avant contre le Secrétaire général du Gouvernement, Jonas Prosper Lola Mvou, qu’il reproche avoir vidé ce statut de sa substance. Lecture  

Monsieur le Président de la Commission des lois ;

Mesdames et Messieurs les Honorables députés ;

Mesdames et Messieurs

C’est un moment historique pour le Pouvoir Judiciaire de notre chère République, que celui d’être convié par le Pouvoir Législatif, pour traiter d’un sujet d’une importance capitale dans la bonne marche et le respect dû à notre système judiciaire, sans doute pour les trente prochaines années.

Si certains d’entre vous n’ont jamais été confrontés à la justice de notre pays, ceux qui l’ont été vous ont sans doute rapporté des anecdotes, pas toujours glorieuses pour certains, au point que dans l’opinion nationale, les efforts positifs de la majorité des Magistrats qui rendent des décisions justes et équilibrées se trouvent noyées dans la minorité qui constitue la mauvaise graine comme dans chaque organisme.

Nous sommes donc là, pour vous faire comprendre que les plaintes des gabonais vis-à-vis de leur justice, de notre justice, prennent source dans le bain de précarité volontairement entretenu, et dans lequel on trempe quotidiennement les magistrats pour qu’ils demeurent constamment dans une situation de dépendance imposée par le gouvernement, donnant ainsi une image négative de ces derniers.

Pour que nul n’en ignore, une justice indépendante est l’émanation de la volonté des deux premiers pouvoirs que sont le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Le premier cité doit être mû par l’idée de bâtir une nation digne et respectable, initier, pour ce faire, des lois qui devraient mettre les magistrats à l’abri du besoin en réglant dès le départ les questions de subsistances.

Le deuxième, c’est-à-dire le législatif, qui n’a jamais changé de bord, devrait voter lesdites lois et se sentir fier de participer à la mise en place d’une justice qui traite tous les concitoyens sur le même pied d’égalité.

Si nous en sommes aujourd’hui à lever le ton c’est parce que la précarité qui perdure fait voler en éclat le serment prêté par chaque Magistrat, celui de dignité, de loyauté et le secret des échanges intra-muros en toutes circonstances.

Pour la majorité d’entre nous, c’est au moins cinq années d’études universitaires plus les années de formation professionnelle, avec l’objectif de servir la seule République que nos aïeuls nous ont tous léguée, et qui regorge d’innombrables richesses.

Loin d’être xénophobes, quelle paix intérieure peut-on alors cultiver lorsqu’on constate, que nos compatriotes venus d’ailleurs, intégrés dans nos services publics se trouvent désormais mieux traités dans notre pays, au point de faire mourir les intelligences nationales, avec la complicité de tous les pouvoirs, trahissant le peuple que nous sommes censés représenter.

En toute franchise, combien de fois, chacun de vous, assis dans son salon, devant son poste téléviseur, regardant comment la justice est rendue sous d’autres cieux, ne s’est-il pas indigné et souhaiterait qu’il en soit également ainsi chez nous un jour ?

Sans vouloir vous exposer, nous voudrions juste sonder vos cœurs pour savoir si, dans votre for intérieur, vous ne souhaitez pas un avenir plus radieux à la justice de notre cher pays, et partant à toute notre nation.

Nous présumons que chacun de vous, en se rasant devant son miroir se parle et n’est pas content de la justice de notre pays.

Alors que faire ?

Un texte vous a été soumis, contre lequel les magistrats se sont indignés car, vidé de sa substance sur certains points essentiels qui marquaient la rupture avec le passé, et ne reflète plus le consensus de départ avec le pouvoir exécutif, celui-ci n’est plus aux yeux des magistrats qu’une camisole aux contours tordus et mal taillés parce que les retouches non contradictoires ont été confiées à des charlatans du droit dont le niveau d’inspiration en la matière est visiblement en dessous de celui d’un apprenti autodidacte.

Or, le droit est une science qui fait que les dispositions prévues dans un texte législatif ont une corrélation entre elles, de sorte qu’elles perdent leur cohérence si des suppressions sont faites dans la précipitation par des esprits moyens, qui ignorent l’essentiel des principes et des traditions qui guident le fonctionnement de la Justice.

Au demeurant et en tant que pays colonisé, ce n’est pas nous qui avons inventé la justice moderne. C’est une émanation française, notamment le code Napoléon, devenu code civil gabonais ancien, et il est plus qu’urgent, si nous voulons nous arrimer aux standards internationaux, nous devons faire un effort pour nous y adapter et refuser de nous référer à la justice tropicale.

Sur cette lancée, l’une de ces garanties reste le principe de l’inamovibilité du juge. Dans les faits, il n’est un secret pour personne que les juges subissent constamment des affectations arbitraires, souvent déguisées en promotion sanction du fait de certains « dossiers brulants » connus, traités par eux.

Est-il acceptable qu’un magistrat soit affecté chaque année pour des raisons relevées ci-dessus, alors même que l’Etat ne prend pas en charge ses frais de déplacement et de déménagement ? Se rend-on compte des perturbations qu’on fait subir à sa famille ? Certains collègues, dont les épouses ne pouvaient être affectées les ont perdues du fait des séparations imposées par des affectations, plus proches du harcèlement moral, que d’un besoin réel de nécessité de service.

A tous ces désagréments, il faut ajouter les perturbations scolaires de leurs enfants qui doivent changer d’environnement et d’établissement chaque année. Ceci est inadmissible, car leurs bourreaux n’ont jamais été exposés aux mêmes difficultés.

Vous comprendrez donc qu’au-delà de la stabilité de la carrière, à laquelle aspire tout homme, l’inamovibilité du juge joue deux autres rôles : celui de la protection sociale des familles et celui de rempart contre l’arbitraire.

Il faut retenir que le principe de l’inamovibilité du juge, est un principe universel contenu dans tous les statuts des magistrats du monde, débattre de son existence dans le cadre notre corporation devient une hérésie et ses corollaires l’indemnité de judicature et celle compensatrice du logement d’astreinte.

Grosso modo, eu égard à ce qui précède, votre refus à améliorer notre statut se résumerait ceci : “Chers concitoyens Magistrats, nous les députés de la République gabonaise, estimons que le désordre dans le corps de la Magistrature ne nous dérange pas. Que notre pays le Gabon n’a pas besoin d’évoluer et de connaître des jours heureux, de même que notre Justice n’a pas besoin d’être juste. Alors, chers magistrats, félicitations, et continuez dans tout ce qui vous est reproché“.

Mais grâce à votre compréhension patriotique et républicaine, nous espérons que ce message s’arrêtera dans cette enceinte du peuple dont vous incarnez la représentation pour ne s’inscrire que dans l’histoire de l’adoption de notre statut pour la revalorisation de notre corporation.

En définitive, nous nous permettons de vous rappeler la célèbre phrase de Neil Armstrong en foulant la surface lunaire ; Un petit pas pour l’homme, mais un pas de géant pour l’humanité.

Aujourd’hui, vous êtes l’arbitre entre deux pouvoirs : l’Exécutif et le Judiciaire. Honorables députés, ce qui vous paraissait comme une revendication insignifiante, vous est on l’espère, désormais digne d’intérêt car, l’adoption par vous du projet de texte consensuel constituera l’accession aux standards internationaux du corps de la magistrature.

Nos espoirs se fondent sur votre sens habituel du devoir pour la paix, la tranquillité publique et le retour à la sérénité au sein des Cours et Tribunaux de notre pays.

Nous vous remercions

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