Cet article est une contribution qui vise à ouvrir un sujet encore insuffisamment étudié : la navigation intérieure au Gabon. Les projets récents des autorités visant à redynamiser ce secteur d’activité-clé et les infrastructures portuaires embrassent plusieurs aspects du phénomène. Le CTRI veut dans tous les cas lui redonner une place de choix dans les projets de développement du pays.
Nous nous sommes limités ici, dans le cadre du Bas-Ogooué, à explorer un thème de géographie vaste, riche et prometteur, un secteur qui s’apprête à connaître donc de profondes mutations. L’économie nouvelle du Gabon veut diversifier ses sources de revenus. Il faut assurément au pays des infrastructures modernes et performantes.
Brève présentation du Bas-Ogooué
De Ndjolé à Port-Gentil, nous sommes bien dans le Bas-Ogooué. Nous commencerons alors ce texte par une brève présentation de cette région dans laquelle s’insère une grande partie de la province du Moyen-Ogooué. Le Bas-Ogooué, c’est le « « pays de l’eau et de la navigation intérieure ». Il se situe à cheval sur les provinces du Moyen-Ogooué – où il en prolonge les deux départements, savoir celui de l’Abanga-Bigné et celui de l’Ogooué et Lacs – d’une part, et se termine sur celui de la Béndjé de l’Ogooué-Maritime, d’autre part. La grande ville la plus proche est Lambaréné, la capitale provinciale qui, d’après le dernier recensement de la population de 2003, comptait 19035 habitants. Aujourd’hui on peut y dénombrer un peu plus de 25000 âmes. En somme, le Bas-Ogooué est la partie finale du bassin de l’Ogooué. Et comme pour l’ensemble du pays, cette partie du territoire national reçoit elle aussi d’importantes précipitations. Celles-ci alimentent ses innombrables cours d’eau : des lacs, des rivières et un fleuve, l’Ogooué. On en dénombre plusieurs centaines. Il est véritablement d’un « pays d’eau » avant même d’être un pays de navigation car il s’agit d’un espace dans lequel l’eau est un élément spécifique. Dans cet « espace approprié » elle y a non seulement une place dans la vie socio-économique propre, mais de plus les populations du Moyen-Ogooué se reconnaissent essentiellement comme des « gens de l’eau et des lacs ». Et c’est encore l’eau qui en délimite les deux départements par ailleurs, et ouvre aussi le territoire au grand large, à l’Océan Atlantique … par l’Ogooué dont la largeur par endroits dépasse le kilomètre. Il est assurément un centre géographique, ce « grand fleuve » qui assure l’accès aux populations et aux richesses.
Sur le plan géomorphologique il s’agit d’une vaste plaine alluviale fortement inondée dont la largeur dépasse 70 km. C’est en quelque sorte le delta intérieur de l’Ogooué qui s’étire (au sens large) en aval de Ndjolé, jusqu’au lac Anengué. Ce delta intérieur se divise en de multiples bras dont les plus profonds forment de véritables chenaux plus ou moins navigables. Ceux-ci communiquent entre eux et avec plusieurs lacs. La superficie du site Ramsar est de 862700 hectares (8627 km²).Certains chercheurs estiment que la moitié est occupée par une variété d’étendues d’eau (fleuve, rivières, lacs et marais). Dans tous les cas on a ici le plus important réservoir hydrologique du pays. Et comme pour près de 85% du territoire gabonais, il est lui aussi densément couvert par une végétation luxuriante avec des paysages et des essences si variés. On y trouve : forêt dense, formations ripicoles et savanes.
Autant dire que la navigation intérieure s’impose. Elle est indispensable, articule et oriente les échanges, non seulement entre la côte et l’intérieur, mais aussi au sein même dudit espace, dont les territoires sont irrigués, tantôt par des lacs, tantôt par des rivières ou tout simplement par l’Ogooué, l’artère principale et voie navigable par excellence. Les territoires concernés ici par la navigation intérieure sont assez vastes et présentent des caractéristiques communes parmi lesquelles on retiendra le faible peuplement (à l’instar de tout le pays d’ailleurs) et l’absence d’activités économiques dynamiques. Nous sommes en effet dans un espace rural où les activités économiques modernes sont rares et n’emploient que très peu de main d’œuvre même si, dans le Bas-Ogooué, la population se concentre à plus de 80 % en ville, c’es-à-dire à Lambaréné et Ndjolé. Au milieu des années 1980 Emmanuel Ekarga Mba mentionnait avec force détails cette réalité. Il y a dénombré de très nombreux villages, certes, mais si peu peuplés (parfois d’à peine seulement une dizaine d’âmes, surtout en saison des pluies), de plus isolés et épars. On sait que l’exode rural touche essentiellement les jeunes adultes des deux sexes. Depuis les années 1950 les jeunes gens des villages sont de plus en plus attirés par un emploi salarié en ville, que ce soit à Ndjolé, à Lambaréné et surtout à Port-Gentil où ils peuvent se rendre très facilement et à moindre coût par l’Ogooué d’ailleurs. L’exode rural est un phénomène qui a pris naissance très tôt au Gabon, dès les années 1960. Il s’est amplifié au cours de la décennie 1970-1980, « les années du pétrole ». Mais le Bas-Ogooué a commencé à pourvoir en main d’œuvre à la province de l’Ogooué-Maritime depuis la période coloniale, au temps où l’okoumé était roi.
C’est dans un de ces « territoires de la navigation intérieure », celui de l’Ogooué, des lacs et des rivières, que se trouvent Ndjolé et Lambaréné, les deux villes fluviales du Moyen-Ogooué. La première, avec sa dizaine de milliers d’habitants est la capitale du département de l’Abanga-Bigné, tandis que la deuxième est celle du département de l’Ogooué et des lacs et aussi la capitale provinciale. Elle compte environ 30000 habitants. Ce sont deux villes fluviales situées au bord de l’Ogooué, au centre du pays.
Deux villes fluviales et leurs ports : une vocation de transit dans le dispositif de circulation
La ville de Lambaréné est plus connue dans le monde comme étant celle du docteur Albert Schweitzer. Et hors du Gabon l’on n’a pas souvent à l’idée que le « grand docteur » y est arrivé par voie fluviale. Ndjolé est aussi une ville autrement historique, avec l’île Samory. Lambaréné est située sur la grande île d’Oréryè, entre les deux bras de l’Ogooué, l’Orembo-Ovolo et l’Orembo-Owango (la grande rivière et la petite rivière), au carrefour des voies de communication du Bas et du Haut-Ogooué, de la Ngounié et des lacs. Sa fondation par des maisons de commerce occidentales a lieu entre les années 1874 et 1880. En 1874, lors du passage du Marquis de Compiègne et d’Alfred Marche, les factoreries se trouvaient déjà à Adolinanongo, l’autre nom de Lambaréné. En 1880, aux abords de l’établissement de la Mission Catholique, on en dénombrait quelques-unes. D’abord commandé par un simple Chef de Poste, Lambaréné devint dans la suite chef-lieu de circonscription. Puis il retomba au rang de subdivision dépendant alors de Ndjolé. Il redevint ensuite chef-lieu de circonscription, puis chef-lieu de région du Moyen-Ogooué avant d’être érigé ces dernières années en Commune Mixte, avec un Administrateur-Maire à sa tête.
Lambaréné et Ndjolé sont donc deux villes fluviales et portuaires. Il est admis que la ville portuaire tire son nom et son importance de l’existence d’un port, même si l’on ne peut pas prétendre qu’une ville portuaire est la résultante d’une simple juxtaposition d’une ville et d’un port. Un port crée une richesse. On pensera ici aux importants tonnages qui transitent par les deux ports du Moyen-Ogooué, notamment au temps du flottage des billes de bois de Ndjolé à Port-Gentil jusqu’en 2010. Ces infrastructures ont aussi une autre dimension commerciale et une valeur utilitaire indéniables. On peut ajouter que leur fonction urbaine est bien spécifique au Gabon, au-delà de leur activité et leur rôle dans l’économie des deux villes. Ils reçoivent des trafics en provenance de Port-Gentil ou des lacs, de l’Ogooué ou encore des rivières. Leur vocation de transit s’est consolidée depuis des décennies. On pourrait même remonter à l’époque coloniale où, tour à tour, Ndjolé et Lambaréné ont occupé tour à tour les premiers rangs des villes de l’intérieur du Gabon, à la fois économiquement et administrativement. Même sans disposer de statistiques récentes et précises, l’on constate encore aujourd’hui, à partir de leur seule position géographique, que l’essentiel des marchandises et des voyageurs ne fait que « passer par » Lambaréné et Ndjolé. On peut en conséquence parler de deux « villes-carrefours » qui reçoivent depuis des décennies, en provenance des villages limniques et de l’Ogooué, mais aussi des autres provinces limitrophes, notamment, le « Grand Sud », c’est-à-dire de la Ngounié et de la Nyanga, des produits vivriers et des voyageurs. Le flux se dirige vers Port-Gentil, par voie d’eau en empruntant l’Ogooué, ou vers Libreville, par voie terrestre. Lambaréné et Ndjolé ont des ports rudimentaires, sous-équipés dont les activités sont encore très limitées en quantité et en nature. Ce qui amène à en déduire que le potentiel d’exploitation n’est valorisé qu’au strict minimum, même s’il faut reconnaître qu’il est plus ou moins adapté aux besoins réels du moment.
L’importance de la navigation
Avant d’aller plus loin rappelons quelques définitions fondamentales. On est ici à l’intérieur des terres, loin du littoral. Le type de navigation qui s’y effectue est dit « navigation intérieure », c’est-à-dire, « la navigation sur les eaux permanentes à l’intérieur des terres ». Ces eaux peuvent être des lacs, des rivières, des marais, des fleuves, utilisables par saisons ou toute l’année, et subir des inondations. Le transport fluvial est quant à lui, « le transport sur les voies navigables, qu’elles soient des cours d’eau navigables (fleuve, rivière, lagune, estuaire, delta), éventuellement aménagés, ou des canaux artificiels ». En plus simple, il s’agit de la navigation dans les eaux ne faisant pas partie des mers et des océans, opérant pour le transport des marchandises et des personnes. Parfois on distingue toutefois le transport lacustre, qui s’effectue donc dans les lacs et les plans d’eau. Le transport lagunaire a lieu quant à lui, dans les lagunes.
La navigation sur les cours d’eau intérieurs est une activité universelle et très ancienne. En effet, bien avant de se confier aux océans, partout dans le monde, l’homme s’est d’abord risqué sur les cours d’eau intérieurs. En effet, l’histoire humaine montre que dès l’époque préhistorique, c’est sur les rives des lacs, des rivières et des fleuves que les tribus dans chaque continent, ont d’abord campé. L’homme, non seulement s’est déplacé, mais, avec cette eau indispensable à son existence, il a eu accès à plus de nourriture, y a trouvé sa sécurité (notamment dans les cités lacustres) et finalement, il a établi le (seul) mode de transport alors praticable en radeau, sur un tronc d’arbre grossièrement creusé (la première pirogue monoxyle).
Certains scientifiques spécialisés ont pu reconstituer les mobilités et le mode de vie des premiers hommes. Ils affirment l’existence d’une similitude de la situation populations autochtones, que ce soit en Europe, en Océanie, en Amérique ou en Afrique. Dans l’ère moderne on peut résumer la situation au fait que dès le début des échanges commerciaux, les hommes ont commencé tout naturellement à utiliser le fleuve, le lac et la rivière pour transporter leurs marchandises.
Aujourd’hui encore le transport fluvial, lagunaire et lacustre assure le transport de marchandises ou de personnes d’un point à un autre sur tous les continents. En Allemagne la navigation fluviale représente 10% du fret du pays. Sur la Seine, en France, circulent un trafic de plus en plus important à livrer notamment à Paris. En Wallonie en Belgique, avec ses 450 km de voies navigables, le transport fluvial est encouragé. Le tonnage fluvial de marchandises transportées y était de 32,19 millions de tonnes en 2023. Quant à la Chine, elle possède depuis 1999, un réseau de voies navigables de 110000 km. En 2003, ces voies navigables ont transporté près de 1,6 milliard de tonnes de fret et de 6,3 trillions de passagers-kilomètres à partir de 5100 ports intérieurs. La longueur totale des voies navigables dans le monde était estimée en 2017 à 2 293 412 km, avec en tête la Chine (126300 km en 2014) et la Russie (102000 km en 2009). Le réseau européen est long d’environ 38 000 km avec en tête la France (8501 km en 2008) et la Finlande (environ 8000 km en 2013)
Dans le Bas-Ogooué la navigation est une pratique, un mode de vie qui s’étend jusqu’au delta de l’Ogooué, lequel s’ouvre sur le « grand large », l’Océan Atlantique. L’Ogooué et les lacs, mais aussi les innombrables rivières ne jouent pas ici un rôle marginal dans un réseau fluvial navigable total de 3300 km comprenant les centaines de cours d’eau du Bas-Ogooué, les trois lagunes (Fernan Vaz (Nkomi), Basse et Haute Banio) et les cours d’eau navigables du littoral nord. Les périodes les moins propices à la navigation dans le Bas-Ogooué sont celles des maxima pluviométriques, soit mars-avril (entre 176 et 260 mm) et octobre-novembre (entre 296 et 372 mm). Que ce soit sur l’Ogooué ou les lacs, et même les plus petites des rivières, il devient très risqué de se déplacer par voie d’eau.
Les lacs : lieux privilégiés de la navigation et de pêche périodiques
En saison sèche, en revanche, les lacs du nord (autour de Ndjolé) ou ceux du sud (au sud de Lambaréné), vides d’hommes ou presque en saison des pluies, se « repeuplent » en saison sèche et constituent de juin à août, des zones où la navigation est très intense. Ils deviennent des zones de pêche très actives avec leurs petits campements constitués généralement d’une famille ou d’un groupe d’amis. La senne est la pratique de pêche la plus courante. Elle est effectuée aussi bien le jour que la nuit, où elle devient le « mabwata » (nom local de cette pêche nocturne). C’est bien des lacs que vont et viennent les dizaines de pirogues pleines de poisson vendu pour partie à Lambaréné et destiné aussi à Libreville. La moyenne des prises par pirogue avoisine généralement le quintal, en majorité de carpes, « le symbole ou la marque du G3 » (Moyen-Ogooué). Et c’est durant la période du 17 août, date commémorative de l’indépendance du pays, qu’on atteint les records dans cet incessant ballet de pirogues qui partent des lacs dès 4 ou 5 h du matin pour arriver à Lambaréné deux à trois heures plus tard.
Une si brève campagne de signalisation… infructueuse
A propos de l’équipement des voies d’’eau, on évoquera le balisage des voies d’eau expérimenté dans les années 1980 par l’Etat gabonais. Il avait initié une campagne de signalisation sur l’Ogooué. Mais il n’est pas certain que la majorité des navigateurs fût formée, à défaut d’en être informée. Il y eut aussi durant cette période, des projets d’équipement de base tels que la création de quais fluviaux, l’aménagement de débarcadères, et d’abris pour passagers et marchandises, la mise en place d’un système de balisage, des constructions de ports fluviaux, etc.. Tout ceci parce qu’au fil des années il ne faisait plus de doute que le transport fluvial (par l’Ogooué) s’imposait comme une activité vitale pour l’économie du pays. Pour preuve : au cours de la décennie 1980-1990, la moyenne annuelle de production d’okoumé et ozigo, dont une grande partie était acheminée par l’Ogooué oscillait entre 400 et 450000 m3 de moyenne annuelle.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le transport par voie d’eau concerne le fluvial, certes, mais il recouvre aussi le volet lacustre même si au niveau de l’Etat l’on parle généralement que de « transports fluviaux et lagunaires » ou « Transport intérieur fluvial ». Il s’agit aussi naturellement de la mobilité des passagers qui, dans un même terroir, vont et viennent d’un village à un autre. Il peut aussi être question d’un départ d’une des deux villes du Moyen-Ogooué, en direction d’un des villages de « l’Ogooué et des lacs », ou tout simplement d’un voyage de vacances vers un campement saisonnier dans un des lacs de « l’Abanga-Bigne », à Atsié, dans l’autre département de ladite province. Indubitablement les cours d’eau, sont si abondants qu’ils en imprègnent la vie politique, sociale et économique. D’ailleurs une autre des caractéristiques des cours d’eau du Bas-Ogooué est leur accessibilité. Ils sont des moyens de déplacement et d’échanges accessibles, commodes, inévitables, disponibles et indispensables à la mobilité.
L’Ogooué : voie royale d’acheminement des marchandises lourdes
L’Ogooué est un fleuve d’une longueur d’environ 900 km. Il n’est pas aménagé et son bief navigable part de Ndjolé jusqu’à son delta, soit à 134 km. De Booué à Ndjolé, soit sur 170 km, la navigation est possible mais très difficile. C’est à partir de Ndjolé qu’étaient composés les radeaux de billes de bois qui pouvaient avoisiner les 1000 tonnes, acheminés sur Port-Gentil par remorquages. En amont de Ndjolé le lit est encombré de rochers, d’îles et d’îlots rocheux.
L’Ogooué est un fleuve abondant, bien alimenté en toutes saisons et donc assez régulier. Le débit moyen mensuel observé en août (minimum d’étiage) atteint 1 930 m3/s, soit quatre fois moins que le débit moyen du mois de novembre, ce qui montre une irrégularité saisonnière réduite. « Au milieu de forêts impénétrables de palétuviers et à travers des marais inaccessibles, vient se jeter dans la mer, par trois branches différentes, le grand fleuve Ogooué. Son embouchure forme un delta de cent milles de largeur ».
Peut-être est-il nécessaire d’énoncer ici quelques rappels historiques. Les premières tentatives de reconnaissance de l’Ogooué à partir de son delta sont celles d’officiers français. Elles ont lieu entre 1862 et 1864. En 1873, l’Amiral du Quilio visitait lui-même l’Ogooué et ses lacs. Quelques années après, le Gouvernement français prenait officiellement possession de l’Ogooué, en y installant le Poste Administratif de Lambaréné. C’est en 1873 le Marquis de Compiègne et Alfred Marche arrivèrent chez les Galoa (à Adolinanongo). La navigation sur l’Ogooué s’effectuait alors entre Mulondo (Lastourville) et le Cap Lopez par convois de pirogues et le commerce européen ne s’installa réellement dans le bas-Ogooué qu’à partir de 1867, à l’arrivée des grandes firmes anglaises et allemandes telles que Hatton et Cookson, Wœurmann ou encore John Holt. Elles furent suivies par quelques autres françaises.
Des conditions de navigation compliquées
L’impact des saisons est prégnant. Le climat commande les précipitations qui, à leur tour, rythment la dynamique de l’hydrologie, donc les conditions de navigation. On l’a vu plus haut, l’Ogooué concentre les activités de transport par voie d’eau dans la région. Il n’est pas aménagé mais c’est bien sur le cours inférieur du fleuve que se pratique l’essentiel de la navigation intérieure. Il y a, cependant comme une ambivalence entre la paralysie que causent les distances et la difficulté des déplacements par voie d’eau, et les possibilités qu’offrent toutefois l’Ogooué et les lacs à la navigation. Autant dire que la mise en valeur du Bas-Ogooué se trouve largement entravée pour des raisons liées principalement aux conditions de navigation. D’emblée, les bateaux doivent avoir un faible tirant d’eau (entre 1 et 2 m). Les explorateurs ont relaté moult mésaventures liées à cette réalité.
Dans le transport du bois, la voie d’eau est nettement plus économique. Et dès les premières années d’exportation des billes de bois, les différentes sociétés de la période coloniale avaient immédiatement misé sur l’Ogooué. De toute façon il leur eût été impossible ou il leur fût si coûteux de les faire parvenir autrement à Port-Gentil. Plus tard, durant les décennies qui ont suivi, notamment dans « les années du bois » où l’okoumé et quelques essences de bois dur s’exportaient par centaines de milliers de tonnes par an, la flottille fluviale comprenait des dizaines de remorqueurs, des chalands, des barges. Le remorquage sur les deux côtés était le plus fréquent. Durant des décennies des trains de bateaux avec trois, parfois quatre chalands chargés de billes d’okoumé, se succédaient sans cesse. Le poussage faisait aussi partie des techniques de navigation d’un trafic à la fois très important et régulier. Mais, naturellement il n’a jamais été question d’une saturation des voies navigables.
C’est en période de basses eaux (de juin à septembre), que la navigation se complique essentiellement ; qu’on navigue dans un lac ou sur l’Ogooué. Sur le fleuve c’est après le village Ngomo que l’insuffisance des profondeurs et les bancs de sable sont manifestes. La portion située entre les villages Enyonga et Aschouka est le secteur où la navigation se complique incontestablement. Très régulièrement dans les années 1970-1980, le caboteur Azingo dont le tirant était d’1,20 m, pouvait se retrouver échoué avec ses centaines de passagers et ses centaines de tonnes de marchandises, dont des denrées alimentaires périssables, sur un banc de sable pendant plusieurs jours. De façon générale le fleuve est parsemé d’ilots et de bancs de sable en saison sèche. Les troncs d’arbres flottants et autres obstacles charriés, constituent d’autres dangers permanents qui ralentissent fortement la navigation, du reste, interdite nuit est interdite depuis quelques années. Et pour la sécurité les gilets de sauvetage sont devenus obligatoires. A l’évidence un gros travail de dragage régulier est nécessaire. Durant cette période de basses eaux les remorqueurs et les caboteurs affrétés généralement pour le transport des passagers, ne peuvent d’ailleurs pas s’aventurer dans les lacs. Au plus fort de la saison sèche, lorsque la profondeur du bras principal de l’Ogooué ne le permet plus (ou presque plus), les navigateurs peuvent, à partir de Lambaréné, passer par l’autre bras appelé Rembo Owango (la petite rivière) pour ressortir vers Aschouka. Le souhait d’acquérir des embarcations plus légères, de type « Rotork » pour desservir les lacs Oguémouè, Onangué, Ezanga avait été émis un temps pour soulager aussi les riverains obligés de transiter par l’escale de Ngomo. Dans cette partie du parcours il y a tant de passagers à transporter en saison sèche.
Depuis quelques années le transport des passagers est devenu une activité très lucrative qui se structure et s’organise, avec ses navettes modernes et confortables. Mais rappelons qu’avant l’indépendance les deux derniers bateaux opérationnels les plus connus assurant une desserte régulière de passagers furent le « Dimbokro » et le « Faadji ». Il a fallu attendre 1975 pour voir la création de la Compagnie de Navigation Intérieure (CNI) pour garantir le contrôle de ce secteur d’activité. Le 7 janvier 1978 l’Etat gabonais acquérait « l’Azingo ». Ce caboteur long de 43 m et large de 9 m, est celui qui est resté gravé dans bien des mémoires. En un voyage, les 150 places réservées aux passagers étaient toujours en saison sèche, largement dépassées. Pour assurer le transport entre le Fernan Vaz et Port-Gentil, « l’Etimboué », long de 31 m et large de 7 m, avec une capacité de 90 passagers allait suivre très rapidement.
Entre-temps, sur l’Ogooué le « Miangh’a » (l’argent) avait assuré de bons et loyaux services entre Port-Gentil et Lambaréné. Quoiqu’il en soit, naviguer dans le Bas-Ogooué est une aventure. Qu’on se trouve à Ayem, Mengueigne ou Azoughe, dans le secteur des lacs du nord, ou encore à Onangué, ou Evaro, ceux du sud, ou même dans les vastes lacs Azingo, Gomé sur la rive droite, ou Ezanga, Oguémoué, Avanga, sur la rive gauche, les difficultés de navigation sont pratiquement les mêmes encore et toujours, tantôt éviter les objets flottants et les bancs de sable, tantôt trouver le bon chenal car tous les lacs sont moins profonds en saison sèche. L’utilisation d’un soudeur, lequel peut être combiné GPS, est vivement recommandée. Un de ses avantages est de permettre à d’autres voyageurs d’éviter les écueils et pièges et surtout d’identifier et suivre habilement et en toute tranquillité le bon chenal. Lorsque Pierre Savorgnan de Brazza et ses compagnons, en 1874, sur un vapeur dénommé « le Marabout », entament une exploration de l’Ogooué, ils ont connu les mêmes problèmes avant d’atteindre Lambaréné. L’Ogooué était alors décrit comme étant une « mer parsemée d’îles boisées » et que ses « bancs de sable forment de larges chenaux »
La descente de l’Ogooué est nettement plus aisée et plus rapide en saison des pluies à cause de la force du courant. Mais elle peut s’avérer très dangereuse pour les petites embarcations. De Lambaréné à Port-Gentil le gain de temps à la descente est très surprenant en période de hautes eaux : les navettes équipées aujourd’hui de puissants moteurs hors bord (4 à 6 moteurs, voire plus) mettent généralement trois heures à pleine charge entre les deux villes. Ce qui leur permet parfois d’effectuer lorsque cela est nécessaire et surtout rentable, un aller-retour dans la journée. En toutes saisons la remontée est généralement plus longue.
La présente publication s’est brièvement intéressée aux deux villes fluviales du Moyen-Ogooué dans le centre du pays. Elle aborde sommairement les conditions de navigation dans le bief de l’Ogooué, de Ndjolé à Port-Gentil, et aussi dans les lacs. Mais elle s’est limitée aux aspects généraux. La prise en compte des réalités et des pratiques de pêche et de navigation nous a aidé à décrire un « pays de l’eau et de la navigation » qui mérite à être connu. Aller plus loin, c’est-à-dire l’équiper exige de considérer les totalités complexes qu’il constitue avec, ici et là, dans les lacs ou sur l’Ogooué donc, des spécificités.
Henri-Pierre AWONGUINO-NDELIA, Géographe Tropicaliste