« Attention aux fausses solutions aux vrais problèmes : cas du chômage endémique au Gabon » (tribune libre de Marien Mba Essono,) 

Marien Junior Mba Essono © D.R

Depuis un peu plus de cinq jours un sujet anime la toile et fait couler beaucoup d’encres et de salives. Il s’agit de l’épineux problème du chômage. 

Nous avons tous vu les images des bousculades et autres malaises survenus lors du dépôt des dossiers de candidature au concours de l’EPCA. Événements qui ont conduit à la prorogation de la date limite de dépôts des dossiers et plus tard, à une décision du chef de l’Etat de relever exceptionnellement l’âge limite de candidature à 38 ans.

Face à cette situation, certaines personnalités publiques bien connues des gabonais pour leur activisme au sein de la société civile et aujourd’hui en responsabilité au sein  de la Transition, dans de surprenants postes exhortent les chômeurs à se tourner vers les «  Activités Génératrices de Revenus » (AGR) et l’entrepreneuriat de « substance ou d’affaire ». Qu’être à la recherche d’une insertion professionnelle au sein de la fonction publique ou du secteur privé relèverait quasiment de la mentalité « prélogique», qui nécessiterait une cure, un éveil de conscience de plus brutal. En reconnaissant, à demi teinte, pour ne pas dire au forceps, la responsabilité de l’Etat, ils s’acharnent avec pugnacité sur des citoyens qui sont simplement en quête d’une vie décente dans un contexte économique des plus moroses.

Qu’il me soit permis d’énoncer quelques truismes, lieux communs sur les conditions préalables de recevabilité d’une telle proposition.

Nul n’ignore que l’entrepreneuriat doit reposer avant tout sur un écosystème dont les principaux piliers sont :

* Accès au financement : Des sources de financement variées, telles que les prêts bancaires, les subventions gouvernementales permettent de financer les PME, TPE etc. Selon l’indice doing business de la Banque Mondiale sur 132, le scoring « getting credit » du Gabon est à 40. Dans le même temps, les programmes gouvernementaux d’employabilité des jeunes qui sont mis en place et les finex qui sont mobilisés pour les financer sont détournés par les responsables politiques et gestionnaires publics qui exhortent cyniquement ces mêmes jeunes à entreprendre avec pour seul moyen leur volonté et détermination. Hélas, je ne crois pas que ça suffise.

* Infrastructures développées : Des infrastructures modernes, telles que les réseaux de communication et les transports, facilitent les échanges commerciaux et la distribution des produits, ce qui est crucial pour la croissance des entreprises. Peu importe le secteur économique, ces infrastructures sont absolument fondamentales. Au Gabon, seulement 21% de route sont bitumées selon l’indice de compétitivité durable du FERDI(https://competitivite.ferdi.fr/indicateurs/pourcentage-de-routes-bitumees). Je ne parle même pas des voies ferrées, qui,  en plus du déficit criard, ont concerné leur utilité coloniale. En ce qui concerne les réseaux de télécommunications, le Gabon, notre pays,  n’apparaît même pas dans le top 30 africain. Je n’apprendrai à personne l’importance des réseaux de télécommunications de « l’entrepreneuriat » du secteur tertiaire, le secteur des services.

* Le climat des affaires : le niveau de corruption, la justice, le respect de l’Etat de droit en général, l’efficacité des procédures administratives et juridiques de création des entreprises etc. Je rappelle que dans le dernier rapport doing business de banque mondiale le Gabon est classé 169 derrière le Burkina Faso, le Cameroun , le Burundi et Niger ( https://archive.doingbusiness.org/fr/rankings).

Je me permets donc de mettre les choses en perspective. Le responsable de la situation du chômage de masse, c’est l’Etat. C’est lui qui définit la politique et les grandes orientations économiques du pays. On ne peut pas vouloir répondre structurellement au problème du chômage en renforçant notre modèle économique traditionnel.

De la contradiction entre  le choix persistant du modèle d’économie de rente et extravertie par le gouvernement et résorption structurelle du chômage de masse.

Qu’est ce qu’un modèle d’économie de rente ? Celui-ci caractérise par la dépendance excessive des revenus d’une économie sur des ressources naturelles ou des privilèges monopolistiques, plutôt que sur la production et l’innovation. C’est le cas des  économies comme la nôtre qui dépendent fortement de l’exportation de matières premières, telles que le pétrole, le gaz ou les minéraux, sont souvent considérées comme des économies de rente. De même, les industries fortement réglementées ou monopolisées peuvent également être considérées comme des économies de rente.

Le choix du modèle d’économie de rente peut se justifier par :

– Revenus rapides : Possibilité de générer des revenus importants à court terme.

– Stabilité politique : Dans certains cas, le contrôle des ressources naturelles peut contribuer à maintenir la stabilité politique en fournissant des revenus au gouvernement qui peuvent être utilisés pour apaiser les tensions sociales ou financer des programmes sociaux.

– Manque de diversification économique : Dans les pays où les autres secteurs économiques sont sous-développés, l’économie de rente peut sembler être la seule option viable pour générer des revenus et stimuler la croissance économique.

Mais, le choix de ce modèle a des conséquences sur le chômage de masse. En effet, la dépendance économique aux aux ressources naturelles ou des industries monopolistiques, est susceptible de créer une  dépendance économique excessive et rendre l’économie vulnérable aux fluctuations des prix mondiaux ou à la concurrence mondiale.

En outre,les  industries de rente ont souvent un faible coefficient d’emploi par rapport à d’autres secteurs économiques, ce qui signifie qu’elles contribuent peu à la création d’emplois, en particulier pour les travailleurs peu qualifiés.

Par ailleurs, en économie, il existe ce qu’on appelle les Effets de Dutch Disease . Cela signifie que l’abondance soudaine de revenus provenant de ressources naturelles peut entraîner une appréciation de la monnaie nationale, ce qui rend les autres secteurs économiques moins compétitifs sur le marché mondial et peut entraîner une perte d’emplois dans ces secteurs.

Par conséquent, lorsqu’on fait le choix d’un tel modèle économique, on ne peut pas miser sur l’auto emploi de subsistance pour résorber le chômage et permettre aux ménages de vivre dignement. Le choix responsable qui s’offre à l’Etat, c’est la juste redistribution de la rente à travers le financement massif dans la santé, l’éducation et la formation, les salaires,  allocations d’insertion professionnelle pour les chercheurs d’emploi, la sécurité énergétique et alimentaire, le logement, les infrastructures d’intérêt national de qualité, la mise en place de véritable mécanisme d’incitation ( pas seulement les discours moralisateurs). C’est le choix opéré par certains avec la même structure économique que le Gabon ( ex le Qatar et l’Arabie saoudite , Oman et autres), ce qui n’empêche pas les gens d’entreprendre plus sereinement dans ces pays. J’invite donc l’Etat à la cohérence dans sa réponse à ce problème. On ne peut se permettre de jouer les ultra libéraux sans l’écosystème qui va avec. Dire le contraire est politiquement irresponsable dans le contexte gabonais. J’ajoute qu’encourager l’entrepreneuriat de subsistance ( déjà très pratiqué par la jeunesse mais qui ne peut être le projet d’une vie )sans encadrement, ni accompagnement, c’est aussi en quelque sorte encourager l’informalité. Une économie de la débrouillardise qui honore les petites gens mais pas l’Etat. On ne peut donc pas se plaindre d’avoir une masse salariale qui capte 50% des  recettes fiscales en encourageant l’informalité avec ce que ça induit  budgétairement pour l’Etat.

Le politique et le discours sur l’entrepreneuriat: entre imposture, incompétence et irresponsabilité.

Je n’arrive pas à comprendre comment des gens qui disent avoir entrepris ( sans avoir connu grand succès) se retrouvent en responsabilité dans  les appareils du pouvoir d’Etat, se sentent compétents et légitimes à exhorter les gens à entreprendre, et ne rien attendre de l’Etat. Alors que ceux là même ont dû laisser leurs affaires pour engager des batailles politiques et sociales ( dont personne ne peut nier l’importance au demeurant) contre cet État dont il ne faut attendre, ni exiger quoique ce soit. C’est assez paradoxal.

En philosophie, quand quelqu’un parle, il est important de se poser la question « de quel lieu cette personne parle »? En effet, je suis convaincu que lorsqu’on incarne ses idées, on est plus convainquant sans faire du zèle, ni verser dans la surenchère. Parfois, c’est en se constituant en modèle de se qu’on prêche que peut impacter plus facilement les consciences. Tant que dans un pays, les hommes les plus riches seront  les politiciens et les fonctionnaires, sur le plan symbolique, ces «  métiers » créeront toujours plus de vocation.

Dire que  «chercher l’insertion professionnelle dans le public ou le privé »n’est pas une bonne idée. La seule idée qui vaille c’est « entreprendre ». C’est grave ! C’est ne pas comprendre le fonctionnement de l’économie et du marché du travail. Une économie peut-elle fonctionner sans l’association du capital et du travail? Une économie peut-elle fonctionner avec des patrons uniquement ?

Il ne s’agit pas ici de remettre en doute la nécessité de l’entrepreneuriat. Au contraire, ceux et celles qui osent s’engager dans ce chemin périlleux au regard du contexte local, sont à encourager, à féliciter.  Ils sont d’ailleurs mieux placés pour sensibiliser sur l’entrepreneuriat et partager leur expérience. Mais, lorsque les externalités n’ont pas été assurées et un écosystème entrepreneurial mis en place par l’Etat, tout discours politique qui tend à la promotion de l’entrepreneuriat apparaît comme un aveu d’échec des pouvoirs publics à trouver des débouchés et des opportunités d’emploi aux chômeurs.

Il faut donc apporter de vraies réponses aux vrais problèmes. Je ne doute pas que le gouvernement de transition dispose de ressources humaines de qualité pour régler ce problème du chômage endémique dans notre pays.

Marien Junior Mba Essono,  doctorant en droit public financier à l’université de Montpellier en France

One thought on “« Attention aux fausses solutions aux vrais problèmes : cas du chômage endémique au Gabon » (tribune libre de Marien Mba Essono,) 

  1. Cher ami, le Gabon pays de pilleurs et de bavards pour ne sortir que des énormités. Qu’attendent tous ces pilleurs pour investir tout ce qu’ils ont détourné au lieu de donner des leçons à la con?
    On a déjà détourné les pensions des retraités et on a annoncé publiquement le kidnappage des rappels de solde.
    C’est dire que « Chasser le naturel, il revient au Galop ».

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