Lutte contre la fraude aux prestations sociales, une partie de la solution aux problèmes qui minent la CNAMGS

*Tribune Libre de Marie-Annick Mvou Kouma Owanga Biyé

Si l’on s’en tient aux dispositions de l’article 15 de l’Ordonnance n° 0022/PR/2007 du 21 août 2007 instituant un régime obligatoire d’assurance maladie et de garantie sociale en République Gabonaise, la CNAMGS assure plusieurs missions, qui sont entre autres, d’assurer l’organisation et la coordination, notamment, la collecte, la vérification et la sécurité des informations relatives aux bénéficiaires ; d’organiser et diriger le contrôle médical en matière de soins et de la tarification des actes ; et de passer s’il y a lieu, avec tout organisme de protection sociale, des conventions aux fins de participer à des programmes d’action sanitaire et sociale.

En ma qualité de Cadre de Sécurité Sociale ayant exercé dans ce domaine durant plus d’une vingtaine d’années, j’avoue éprouver une grande tristesse en observant le déclin de nos organismes de protection sociale, dont celui qui intéresse ma libre expression de ce jour, la CNAMGS, structure au sein de laquelle j’ai passé mes quatorze (14) dernières années, jusqu’au 31 décembre 2023, dont six (6) comme Déléguée provinciale de l’Estuaire aux Bas de Gué-Gué.

Je peux donc, à juste titre, m’interroger sur les réactions de certains usagers et partenaires qui désignent les dirigeants de la CNAMGS comme uniques responsables du déclin de cette structure.

Pour mettre le doigt là où ça fait mal, et je ne m’en cacherai pas, je vais ici désigner la ‘’Fraude aux prestations sociales’’ qui s’érige désormais en religion auprès de la grande majorité des usagers de la CNAMGS, particulièrement lors de l’inscription au niveau de la Délégation provinciale de l’Estuaire (DPE). 

Au sein de cette structure qui, sous d’autres cieux est une Caisse primaire d’assurance maladie, les agents qui y exercent n’ont aucune formation en détection de faux documents. Ce qui a pour conséquence la multiplication de cas de fraudes et par ricochet, l’augmentation des dépenses de santé. Parmi ces cas de fraudes, je citerai les plus récurrents que sont la ‘’Fraude documentaire’’, et la ‘’Fraude des prestataires de soins’’.

Le premier cas qui relève des assurés se manifeste par une fraude documentaire, particulièrement l’usage de fausses identités. Il va de l’inscription via un faux acte de naissance pour bénéficier des prestations sociales ; des déclarations mensongères relatives à l’immatriculation de faux ayants droit afin de bénéficier des allocations familiales auprès des services de la Solde ou de la garantie sociale; d’un faux statut social (ex. : on vient se faire immatriculer comme gabonais économiquement faible, alors qu’on engrange de l’argent dans une activité non déclarée) ; de la production de faux certificats de grossesse; de la multiplication des consultations et de bilans médicaux, ainsi que de l’utilisation abusive des services médicaux pour des soins non nécessaires.

Le second cas quant à lui, concerne les ‘’Fraudes des prestataires de soins’’, caractérisées par des actions diverses telles que les facturations fictives (facturation de prestations médicales non réalisées) ; les surfacturations (gonflement des montants facturés pour des soins ou des médicaments) ; les détournements de patients orientés systématiquement vers les structures privées et les ententes frauduleuses (complicité entre certains assurés et prestataires).

L’on ne devrait donc pas s’étonner, ni se plaindre de l’augmentation des dépenses de santé générées par la CNAMGS si l’on n’accorde pas d’attention aux pièces qui sont présentées lors de l’immatriculation au niveau de la DPE d’une part et si d’autre part, malgré l’existence à la CNAMGS d’une Direction de la lutte contre la fraude (DCMLF), les médecins chargés du contrôle des feuilles de soins restent en majorité des prestataires médicaux. Comment donc s’assurer de la conformité des contrôles si les dés sont pipés au niveau du recrutement de ces spécialistes ?

Face à ces situations, je me permets, en tant que spécialiste de la Sécurité Sociale, de proposer quelques solutions, sans avoir la prétention de vouloir résoudre tous les problèmes ou de justifier les dérives de certains anciens dirigeants de la CNAMGS. Je voudrais juste proposer une autre grille de lecture des problèmes qui gangrènent cet organisme, et rappeler à chacun sa part de responsabilité dans les maux décriés.

Au demeurant, je relève que la fraude, même dans les pays développés, est en partie responsable des dettes abyssales qui paralysent les organismes de sécurité sociale. C’est pour cette raison que des contrôles inopinés sont effectués à des heures indues afin de démasquer certains faussaires.

Pour conclure, je vais faire de manière succincte quelques propositions qui portent sur :

1.La reprise des enquêtes sociales afin de remettre chacun à sa place dans le fichier de la CNAMGS. Ces enquêtes, auparavant effectuées par les services internes, permettaient de régulariser certaines situations et rapporter auprès des services compétents les différents cas de souffrances sociales ;

2.Le renforcement des contrôles grâce à la mise en place d’audits internes et externes pour détecter les anomalies dans les comptes et les prestations. Aujourd’hui, les bénéficiaires de diverses prestations (handicapés, veuves, veufs et orphelins, étudiants et élèves pour l’aide à la scolarité, etc.) sont confondus dans la foule et les interventions diverses, avec pour conséquence la non- atteinte des objectifs sociaux fixés par les autorités ;

3.Le contrôle croisé des données, à travers la vérification systématique des informations fournies par les assurés et les prestataires (statuts sociaux, prescriptions, etc.), ainsi qu’entre organismes de protection sociale (CNAMGS, CPPF, CNSS, Affaires Sociales…) et municipalités (actes de naissances, de décès et de mariages) ;

4.Les inspections sur le terrain par des contrôles inopinés dans les établissements scolaires et de santé partenaires.

5.La numérisation et de la sécurisation des données de manière suivante :

–  La dématérialisation et la traçabilité grâce à l’adoption de solutions numériques par la mise en place de systèmes permettant de suivre les flux financiers, les paiements aux structures médicales et pharmaceutiques et les prestations en temps réel aux patients. Celle qui est faite actuellement ne porte que sur des documents déjà établis et qui ne sont pas rattachés aux patients. Il est notoirement difficile, à partir de la carte CNAMGS d’un assuré, de tracer ses antécédents sanitaires en repérant les pathologies qui lui ont permis de se rapprocher de la ou des structures médicales ;

– L’identification biométrique au niveau soit de l’accueil, soit du médecin traitant par l’utilisation de données biométriques afin de sécuriser l’accès aux prestations ;

6.L’application des sanctions sous deux formes : Sanctions dissuasives par l’application stricte de pénalités financières, radiations ou poursuites judiciaires contre les fraudeurs, ainsi que la sensibilisation des prestataires par le renforcement des obligations contractuelles et sanctions en cas de fraude avérée ;

7.Lampagnes de sensibilisation, notamment l’information des assurés (éducation des assurés sur les conséquences de la fraude pour le système et pour eux-mêmes) et l’encouragement à la dénonciation (création d’un canal anonyme pour signaler les cas de fraude) ;

8.La collaboration avec les partenaires grâce à une coordination inter-institutions qui permettrait de travailler en synergie avec les autres organismes de sécurité sociale, les autorités judiciaires et les forces de l’ordre ; ainsi que l’institution d’un partenariat avec les prestataires grâce à l’élaboration de contrats clairs d’objectifs et de performance avec des mécanismes de contrôle et d’évaluation lisibles.

9.La modernisation des procédures internes, en assurant la formation des agents dédiés aux diverses formes de contrôles au niveau des Délégations provinciales et départementales et le renforcement des capacités des équipes pour la détection et la prévention des fraudes ; ainsi que la rotation des personnels pour prévenir la réduction des risques de corruption en limitant la sédentarisation des agents à des postes sensibles ;

10.La signature de conventions d’objectifs avec des structures privées capables de gérer des segments d’activités ne relevant pas directement des centres d’intérêt et métiers de l’assurance maladie.

En résumé, la lutte contre la fraude repose sur une combinaison prévention- détection- répression. Une gouvernance rigoureuse, appuyée par des outils technologiques modernes, la mise en place d’un guichet unique au sein de la Délégation provinciale de l’Estuaire pour une collaboration renforcée entre les parties prenantes, sont des éléments essentiels pour préserver l’intégrité du système de sécurité sociale.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est de bon aloi que tous ces éléments mis bout à bout permettront de garantir la viabilité financière et l’efficacité de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS), ainsi que de tous les organismes de Protection sociale de notre pays.

J’aurai fait ma part…

*Marie-Annick Mvou Kouma Owanga Biyé, Cadre supérieure de Sécurité Sociale

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