L’histoire de la municipalité au Gabon contée par le chercheur Fred-Paulin Abessolo Mewono

L’hôtel de ville de Libreville @ DR

 

 

Libreville, Gabon (Gabonactu.com) – Fred-Paulin Abessolo Mewono, chercheur à l’Institut de recherche en sciences humaines (IRSH) de Libreville fait la genèse de la municipalité, ce démembrement de L’État qui implique les communautés locales dans la gestion et la gouvernance du pays.  Bonne lecture.  

 

LES PREMIERS PAS DE LA VIE MUNICIPALE AU GABON, 1909-1936.

                                                                                                                                                                                    

Le présent article présente l’ensemble des étapes, procédures et armature juridique qui ont été mobilisés pour introduire la municipale dans le mode de gestion des agglomérations au Gabon. Il insiste sur la volonté du Gouvernement général de l’Afrique équatoriale française d’expérimenter ce nouveau découpage administratif compte tenu du degré d’évolution constatée au niveau de la société gabonaise. Cet article indique que, très vite, les autochtones, sont associés à la gouvernance de ces communes même si cela reste à des niveaux de responsabilité subalterne.

C’est le Gouverneur général du Congo-français qui signifie l’intérêt de créer des agglomérations communales administrées par des administrateurs-maires, assistés par des commissions municipales, ayant une personnalité civile, composée de notables désignés par le gouverneur général. En 1909, dans une note adressée au Ministre des Colonies au sujet du régime municipal dans les colonies, il prend un décret portant institution des communes mixtes au Congo français. Si l’on se réfère au rapport du Ministre des Colonies à l’endroit du président de la République française, l’avantage principal que l’on peut tirer de l’institution des communes mixtes au Congo français est : «  une collaboration étroite entre l’administration et la population permettant à celle-ci de s’associer dans une large mesure à la gestion des affaires ». Dans cette optique, Libreville et Brazzaville, qui sont déjà des agglomérations importantes, doivent recevoir des améliorations notables auxquelles le budget général du Congo-français ne peut faire face.

Il faut, cependant, signaler que des communes mixtes avaient déjà été expérimentées au Sénégal et à Madagascar, et les heureux résultats qui y ont été obtenus permettent d’espérer le même succès au Congo-français. En août 1909, un projet de décret est présenté au président de la République française par Georges Trouillot, Ministre des Colonies. Ce décret est promulgué le 12 aout 1909. Aux termes de ce texte, le gouverneur général du Congo-français eut la faculté d’ériger en communes mixtes, par arrêté, les principaux centres urbains de la colonie. Selon l’article 1er dudit décret, les arrêtés pris par le gouverneur fixent aussi les limites territoriales des communes. L’article 2 du décret du 12 août 1909 stipule, pour sa part, que les communes mixtes sont administrées par des commissions municipales composées :

  • de l’administrateur de la circonscription, président ;
  • de cinq à neuf habitants notables, ayant voix délibératives, nommés par le gouverneur général.

L’administrateur de la commune exerçe toutes les fonctions dévolues aux maires. Ainsi, il prend des arrêtés à l’effet :

  • d’ordonner des mesures locales sur les objets confiés par les lois et règlements à sa vigilance et à son autorité ;
  • de publier de nouveau les lois et règlements de police et de rappeler les citoyens à leur observation.

Les arrêtés pris par l’administrateur de la commune sont immédiatement soumis à l’approbation du gouverneur qui pouvait les annuler ou en suspendre l’exécution. L’article 6 du décret du 12 août 1909 nous informe que l’administrateur était suppléé, en cas d’absence ou d’empêchement, par un autre administrateur ou par un adjoint désigné par le gouverneur général et choisi parmi les membres de la commission municipale. En outre, l’article 7 du texte du 12 août 1909 indique qu’un adjoint indigène, choisi par le gouverneur général parmi les membres de la commission municipale, est chargé, sous l’autorité de l’administrateur, de tout ce qui concerne les indigènes et principalement leur état-civil, la surveillance de la rentrée et l’application des règlements de police. Après la création de la commune, il faut la délimiter dans l’espace.

 

La délimitation du périmètre urbain de Libreville

En 1909, un arrêté daté du 26 décembre 1909 portant délimitation du périmètre urbain de Libreville vient fixer les limites initiales de Libreville ainsi qu’il suit :

  • Au Nord, par la ligne de crête séparant les rivières Alobele et N’djandja, depuis l’extrémité nord du village Kringer, jusqu’à l’embranchement de la route du Lazaret et du sentier conduisant à Enguelebe ;
  • À l’Est, par la route du Lazaret à Oreti ;
  • Au Nord-est, par le sentier qui allait de la rivière Awondo, en laissant à droite le village Anguile Mayola ; de cette rivière jusqu’à la plantation de vanille de la mission catholique ; du sentier qui, partant de cette plantation, rejoignait la route de Sainte-Anne, à l’endroit où cette route coupait la rivière Mekimekoue ; de cette route jusqu’à sa rencontre avec le sentier du mont Bouët ; de ce sentier jusqu’à sa rencontre avec la route de Libreville à Sibang ; de cette route jusqu’à la rivière Licové, de la Licové jusqu’à son confluant avec la rivière Batavia ;
  • Au Sud-est, cette rivière (Batavia) jusqu’à son confluent avec le ruisseau situé au nord du cimetière indigène ; de ce ruisseau jusqu’à sa source, la ligne de crête entre les affluents de la Batavia et la de crique Oloumi ou Ogombié, jusqu’au ruisseau qui prend sa source à l’est de la mission Baraka, de ce ruisseau jusqu’à son confluent avec la crique Oloumi, au nord du Village Kengué.

Dans la foulée de la délimitation spatiale, la charge de la gestion de la nouvelle entité administrative est confiée à Henri Jean-Marie Jamet, administrateur adjoint de 2ème classe des colonies. Ce fonctionnaire français assume donc le premier les fonctions d’administrateur de la ville de Libreville. Mais ce n’est qu’en 1911, soit deux ans après en avoir délimité les contours territoriaux et désigné son administrateur, que Libreville est érigée en commune.

Libreville, commune mixte

 

C’est formellement le décret du 14 mars 1911, portant institution des communes mixtes en AEF qui porte Libreville sur les fonts baptismaux en tant que commune. A partir de ce moment, le gouverneur général de l’Afrique Équatoriale Française (AEF) a la faculté d’ériger les principaux centres urbains des colonies formant l’ensemble de cette possession en communes par arrêté pris en Conseil de gouvernement. Le fonctionnement et les attributions de ces communes sont détaillés dans l’arrêté du 3 octobre 1911 du gouverneur général érigeant le périmètre urbain de Libreville en commune. À ce titre, le territoire compris dans les limites fixées par l’arrêté du 29 décembre 1909, créant le périmètre urbain de Libreville, est érigé en commune sous le titre  de «  Commune de Libreville ».

Il faut dire que la commune constitue une circonscription autonome du Gabon et administrée par un fonctionnaire du corps des administrateurs des colonies, qui prend le titre d’administrateur-maire, secondé par une commission municipale. La commission municipale se compose de quatre membres  dont trois choisis parmi les notables français, fonctionnaires habitant ou pas la commune et jouissant de leurs droits civils et politiques ; le quatrième choisi parmi les notables indigènes. Cette commission a un mandat de deux années au cours desquelles les membres nommés pouvent être remplacés ou révoqués par arrêté du lieutenant-gouverneur. De plus, les fonctions de membre de la Commission municipale sont gratuites. L’administrateur-maire reçoit, tout de même, une indemnité de fonctions fixée par le lieutenant-gouverneur. La commission municipale se réunit en session deux fois par an, en mai et en novembre.

L’érection du périmètre urbain de Libreville en commune est de nature à contribuer à l’embellissement de la ville, à l’amélioration de ses voies de circulation et d’accès. Elle favorise aussi le développement de l’outillage économique considéré comme rudimentaire. Toutefois, il ne s’agit pas de doter le chef-lieu du Gabon de franchises municipales telles que celles accordées aux communes de plein exercice de la métropole par la loi organique du 5 avril 1884. Néanmoins, le Lieutenant-Gouverneur avait la possibilité de convoquer la commission municipale en session extraordinaire. Conjointement à ses fonctions d’officier d’état-civil, l’administrateur-maire est chargé, sous l’autorité du lieutenant-gouverneur, de l’administration de la municipalité, de l’exécution des lois, décrets et règlements. Il prend tous les actes ainsi que les mesures de police pour en assurer l’application dans l’étendue de commune.

 

L’élargissement des compétences territoriales de la commune de Libreville

 

Au nombre des modifications, il y a le décret du 17 avril 1920 réorganisant le régime des communes mixtes en AEF. Il stipule, entre autre, que le gouverneur général de l’AEF a la faculté de créer des communes mixtes par arrêté pris en Conseil de gouvernement dans les colonies formant l’ensemble de cette possession. En application de ce décret, le gouverneur général de l’AEF prend l’arrêté du 1er août 1920 portant réorganisation de la commune de Libreville. Dans son article 2, cet arrêté élargit les compétences territoriales de l’administrateur-maire qui, désormais porte aussi la charge de l’administration de la circonscription de l’Estuaire Gabon-Komo. Il continue d’assumer les fonctions d’officier d’état-civil, en même temps qu’il était également officier de police judiciaire. En 1936, l’arrêté portant réorganisation de la commune de Libreville est modifié. Ce nouvel arrêté modifie également les dispositions de l’arrêté du 10 juillet 1920, portant réorganisation des communes mixtes de Brazzaville, Bangui, Fort-Lamy et Libreville. Les communes mixtes sont dès lors placées sous le commandement d’un fonctionnaire du corps des administrateurs des colonies avec le titre d’Administrateur-maire. Il est assisté d’une commission municipale. La commission municipale de composait de :

  • l’Administrateur-maire, président ;
  • trois membres, choisis parmi les notables français habitant la commune, âgés de 25 ans au moins et jouissant de leurs civils et politiques ;
  • un membre notable indigène, sujet français, parlant français.

Deux membres suppléants, citoyens français et un membre suppléant, notable indigène, sujet français, sont aussi désignés par le chef de région pour remplacer les titulaires en cas d’empêchement ou d’absence momentanée. Ils sont nommés, remplacés ou révoqués dans les mêmes conditions prévues ci-dessus pour les membres titulaires. En 1946, par exemple, la commission municipale de la commune-mixte de Libreville nommée se compose comme suit

  • Roger SEIGNON, Exploitant forestier, Membre titulaire ;
  • MOUTARLIER, Exploitant forestier, Membre titulaire ;
  • DEEMIN, Administrateur-Délégué de la Société Coopérative, Membre titulaire ;
  • MAKAGA-NDJOGONI, Fonctionnaire retraité, Membre titulaire en remplacement de Monsieur IMOUNGA, décédé ;
  • ADANDE-RAPONTCHOMBO, Chef de groupe de quartier, Membre suppléant.
  • Bernard MBA, Chef de groupe de quartier, Membre titulaire,
  • BESSON, Directeur de la CECA, Membre suppléant ;
  • CHENIN, Directeur de la SEA, Membre suppléant
  • ABO BITEGUE, Ancien Combattant de la guerre 1914-1918, Membre suppléant.

 

La vie communale prend naissance au Gabon dans le cadre d’une dynamique générale initiée par la métropole et amplifiée par le Gouvernement générale de l’Afrique Équatoriale Française. L’érection de Libreville, simple centre urbain, en commune répond aussi à un impératif de contrôle et d’administration du territoire. De plus, la croissance spatiale, démographique l’élévation du niveau d’instruction des autochtones commandait que ce nouvel échelon d’administration soit créé.

 

                          Fred-Paulin ABESSOLO MEWONO

               Historien, Chercheur à l’IRSH

Membre de l’Observatoire des dynamiques historiques

et d’analyse des institutions et des politiques publiques

ODHAIP

 

 

 

 

 

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