Exprimer, construire : comprendre les enjeux du référendum pour le Gabon (Tribune libre)

« Les révolutions sont les locomotives de l’histoire ». Cette citation de Karl Marx a occasionné bien des débats et opposé nombre d’historiens et de philosophes sur le sens de l’histoire. Vers quelles destinations ces locomotives qui englobent de nos jours différents types de conflits, révoltes et crises politiques  conduisent-elles les peuples, les Etats et le monde ? La prudence que réclament certains observateurs peut se comprendre, tant l’incertitude en pareilles circonstances est souvent grande.

Mais, dans des cas où le temps a parfois semblé s’être arrêté sur une longue période, il paraît difficile de ne pas saluer le retour ou l’accélération du mouvement, avant de s’atteler à influencer positivement sa trajectoire, à travers des réflexions et propositions.

30 Août 2023, un tournant historique pour le Gabon

Au Gabon, l’histoire s’est accélérée le 30 août 2023 à l’occasion du « coup de la libération » mené par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), à la grande joie quasi-unanime des Gabonais. Et, sans doute, au grand soulagement d’une communauté internationale lucide sur la situation d’un pays dans lequel l’organisation régulière d’élections présidentielles cachait mal les atteintes à la démocratie. Ainsi, bien que le Gabon reste suspendu par l’Union africaine (UA), ses relations avec l’organisation continentale sont en voie de normalisation. La délégation du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, qui a séjourné à Libreville en septembre dernier, a été rassurée par l’évolution de la situation et le retour du Gabon dans le jeu du multilatéralisme africain semble acté.

Il faut reconnaître que les autorités gabonaises imposent un rythme assez soutenu à la transition, afin de respecter les engagements pris devant les Gabonais et la communauté internationale. Au cœur de ce processus se dessine un calendrier ambitieux, avec pour cap l’élection d’un nouveau Président de la République en août 2025. En attendant, plusieurs étapes clés ont été réalisées en quatorze mois: l’organisation d’un Dialogue national inclusif, la rédaction d’un projet de nouvelle Constitution, la tenue d’une Assemblée constituante et la convocation du référendum constitutionnel le 16 novembre 2024.

Projet de Constitution: des avancées importantes et des questions

Rappelons que l’histoire politique et institutionnelle du Gabon s’était jusque-là caractérisée par un immobilisme qui n’était pas en faveur de la démocratie. Le passage du premier président du pays, Léon MBA, de 1961 à 1967, le renouveau du début des années 1990 avec l’avènement du multipartisme, l’adoption d’une Constitution plus démocratique et garantissant les droits fondamentaux (1991), l’organisation des premières élections présidentielles pluralistes (1993), et l’intérim assurée en 2009 par Rose Francine ROGOMBE  apparaissant finalement comme des parenthèses ou encore des façades, si on considère les 56 années passées par la famille Bongo (père et fils).

Projet de constitution gabonaise / Gabonactu.com

Un système avec lequel le CTRI semble vouloir rompre, en permettant aux Gabonais de contribuer à la définition d’un nouveau régime à travers leur participation au processus en cours. Un régime dont il faut espérer que les institutions ne serviront jamais les intérêts d’une famille ou d’un parti politique, dans l’esprit de la célèbre phrase de Barack OBAMA, extraite de son discours de juillet 2009 au Ghana : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ». Précisons néanmoins qu’il est déjà arrivé que des « hommes forts» soient à l’origine d’institutions fortes garantissant la démocratie. Les institutions de deux des plus grandes démocraties dans le monde, les Etats-Unis et la France, des exemples d’organisation institutionnelle stable et toujours d’actualité, ont été bâties par des hommes dont on aime rappeler le courage, la vision et la détermination : les pères fondateurs de la Constitution américaine, d’une part, et le Général DE GAULLE, père des institutions de la Vème République française issue de la Constitution de 1958, d’autre part.

La configuration actuelle de la transition gabonaise ne constitue donc pas un obstacle à l’établissement d’institutions fortes au service de la démocratie.  La question de la nature de ces institutions est bien plus importante, alors que les Gabonais sont invités à se prononcer par référendum sur le projet de nouvelle Constitution.

Remarquons d’abord les efforts d’inclusivité du processus ayant abouti à la dernière version de ce projet de loi fondamentale, avant d’évoquer plus précisément certains aspects du projet de Constitution. Contrairement à la Constitution de 1991, qui fut précédée d’une conférence nationale limitée aux seuls délégués, le processus actuel s’est voulu plus ouvert. Une collecte de contributions a permis aux Gabonais de tous horizons de s’exprimer largement avant le Dialogue national inclusif. Quant au projet de Constitution, il a été enrichi par des amendements de l’Assemblée constituante. Cet engagement participatif, renforcé par le référendum constitutionnel à venir, représente un réel progrès. Ce processus inclusif pourrait faciliter l’appropriation de la Constitution par la population plus tard, en cas d’adoption, et servir à la stabilité des futures institutions.

Afin d’aider les Gabonais à se faire leur propre opinion sur le projet de Constitution, notamment au sujet de la stabilité des institutions, certaines évolutions méritent d’être mises en avant.

  • Sur les conditions d’éligibilité du Président de la République

Il convient de rappeler que lorsqu’elles sont trop exclusives elles peuvent être à l’origine d’instabilités, comme ce fut le cas ailleurs. Si, finalement, il suffit toujours d’avoir un seul parent Gabonais pour se porter candidat à l’élection présidentielle, ce qui correspond à la réalité du Gabon, une terre d’immigration et de métissage, il est désormais demandé d’être marié(e) à un(e) Gabonais(e) elle-même/lui-même né(e) d’au moins un parent Gabonais. Cette dernière condition qui répond à la volonté des auteurs du projet de Constitution de limiter toute influence étrangère au moment de l’élection présidentielle et dans l’exercice du pouvoir pose certaines difficultés évidentes. Les plus importantes étant le risque de distinction entre les gabonais et la primauté accordée à la nationalité de l’épouse/époux d’un(e) candidat(e) sur les capacités propres de ce dernier.

Notons par ailleurs que le projet de Constitution empêche le conjoint et les descendants du Président de la République sortant de se porter candidats à sa succession. Dans le contexte gabonais et africain, cette évolution majeure est de nature à préserver les institutions.

  • Sur le scrutin et le mandat présidentiels

Le retour du suffrage universel majoritaire à deux tours et l’introduction pour la première fois de la limitation à un mandat renouvelable une fois, sont de nature à renforcer les institutions du pays. Précisons que c’est en grande partie l’absence de limitation des mandats qui a bloqué la voie à l’alternance et empêché l’essor d’une véritable démocratie au Gabon.

  • Sur le régime présidentiel et la séparation des pouvoirs

L’évolution du régime semi-présidentiel inspiré du modèle français, avec un gouvernement responsable devant le parlement, vers un régime présidentiel pur sans Premier ministre ni responsabilité de l’exécutif devant le parlement, constitue une sorte de formalisation de ce que le Gabon a toujours connu dans la pratique : un Chef de l’Etat concentrant tout le pouvoir exécutif et un gouvernement jamais inquiété par le parlement. Une situation qui correspond à ce qu’on peut observer dans des pays comme l’Argentine, le Brésil, les Etats-Unis ou encore le Mexique.

Dans le même esprit, le maintien d’un Conseil Supérieur de la Magistrature présidé par le Président de la République, n’introduit pas une séparation des pouvoirs nette entre l’exécutif et le judiciaire, au bénéfice du premier. Notons toutefois un signal positif à travers une légère évolution rassurante: le Ministre de la justice n’assure plus la Vice-présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature. Le projet de Constitution confie cette fonction de façon rotative aux présidents de la Cour de Cassation, du Conseil d’Etat et de la Cour des Comptes.

Mbôva!

Les projets de constitution font rarement l’unanimité et celui du Gabon n’échappe pas à cette réalité. Il a ses défenseurs et ses pourfendeurs, qui cherchent à rallier à leur camp la majorité des Gabonais depuis l’ouverture de la campagne référendaire le 6 novembre 2024.

« Mbôva » – qui signifie dialoguer/se parler en langue Apinzi, une langue du sud du Gabon – représente l’une des conditions essentielles pour guider le Gabon vers un avenir serein et véritablement démocratique, à partir des résultats de ce référendum. Ce n’est pas un hasard si le Gouvernement de la transition a choisi ce nom pour désigner la plateforme numérique dédiée au Dialogue national inclusif.

Alors que le Gabon s’engage sur la voie d’un renouveau politique, il est essentiel que chaque citoyen participe activement à ce dialogue permanent. C’est dans cet élan qu’est né Le Réseau Ébène. Véritable laboratoire d’idées, cercle de réflexion et de débat, le Réseau Ébène abordera les grands enjeux du développement du Gabon à travers des analyses, des études et des conférences. Par ses réflexions et propositions, il ambitionne de contribuer à la trajectoire du renouveau amorcé le 30 août 2023, en veillant à ce que ce « coup de la libération » devienne la locomotive du progrès pour le Gabon et oriente le pays vers un avenir durable et inclusif.

Réseau Ebène, un think tank gabonais

NB : cette tribune libre ne reflète pas le point de vue de la rédaction de Gabonactu.com

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