MARC GAFFAJOLI : « LE SECTEUR AÉRIEN EST CONFRONTÉ À UNE INFLATION GALOPANTE.. »

L’Union : Beaucoup de consommateurs se plaignent aujourd’hui de la hausse des prix des billets d’avions. Quels sont les facteurs qui expliquent cette situation au niveau national mais aussi international ?

Marc Gaffajoli : Je ne partage pas totalement votre constat. Depuis le 1er Janvier 2022, plus de 25 000 passagers (soit 1 passager transporté sur 3) ont bénéficié d’un tarif à 49 900 FCFA TTC vers Franceville et Port-Gentil. Ce tarif avoisine ceux du train et du bateau, lesquels bénéficient de soutien industriel ou public, dont nous ne disposons pas.

Ensuite, lorsqu’on évoque le prix des billets, il faut distinguer 2 parties : La première partie constituée de la part transporteur, et la deuxième constituée notamment des divers taxes et redevances. Elles sont en lecture directe sur chaque billet. La 1ère partie n’a pratiquement pas évoluée depuis 2019, alors que la 2ème partie a augmenté significativement (par exemple pour financer le projet d’aérogare de Libreville) de 13 120 FCFA sur le réseau domestique et de 52 478 FCFA sur le réseau régional par aller/retour. J’ai le sentiment qu’Afrijet est exemplaire en matière tarifaire, surtout quand tout l’écosystème y va de sa petite augmentation et demande aux compagnies aériennes de collecter pour leur compte ou de l’intégrer dans le coût d’un billet ce qui revient au même. Songez que sur un billet de 49 900 FCFA entre Port-Gentil et Libreville, la part transporteur est de 8896 FCFA …Comment survivre s’il n’y avait des passagers pour payer sur certains créneaux horaires 120 000 ou 150 000 CFA TTC ?

C’est le principe du « Yield Management » qui prévaut sur toute la planète : le prix varie en fonction de l’horaire, du jour et de la nature de la demande (affaires / loisirs). Une compagnie qui n’appliquerait pas ses principes de tarification est condamnée à mourir très vite. J’observe d’ailleurs que les critiques sur les prix viennent souvent de clients qui font deux erreurs majeures : Premièrement, vouloir acheter son billet moins de trois jours avant le vol. Et deuxièmement, confier cette mission à un intermédiaire (officiel ou officieux). Nos prix les moins chers sont toujours sur notre site web (flyafrijet.online) et sur notre appli. J’invite les passagers à la méfiance car les fraudes « à la revente » sont nombreuses et invisibles de la compagnie aérienne. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’autorisons pas le changement de nom sur nos billets, mais avec les logiciels actuels certains jouent sur les prix et se font payer en espèces. Je les engage à préférer nos points de vente physiques ou « online ».

Vous êtes à présent en quasi-monopole pour les dessertes intérieures, à telle enseigne, qu’on vous accuse, à tort ou à raison, de fixer arbitrairement les prix… Que répondez-vous à ces accusations ?

Que nous rêvons de concurrence pour pouvoir fixer les prix non pas en fonction de ce débat, mais de la réalité de nos coûts ! Nous sommes en effet comme tous les acteurs économiques confrontés à une inflation galopante chez nos fournisseurs : les pièces détachées aéronautiques ont augmenté de 7 à 10%, les coûts logistiques pour les acheminer ont explosé, la parité CFA / dollar US a généré une augmentation de 20% de nos loyers avion et le prix du kérozène a doublé entre Janvier et Juillet 2022. Si toutes ces augmentations étaient reflétées dans nos prix (la part transporteur), croyez bien qu’ils seraient nettement plus hauts. S’il y avait des concurrents, on ne nous ferait peut-être plus ce mauvais procès d’intention… Plus sérieusement, la concurrence ne nous inquiète pas, nous la vivons sur le réseau régional. Aujourd’hui, nous desservons Douala, Yaoundé, Malabo, Pointe-Noire, Brazzaville, Cotonou et bientôt Kinshasa et Sao Tomé de nouveau.

Toutes ces lignes ont ou auront un autre opérateur aérien. Nous sommes pourtant, en part de marché, la compagnie préférée des passagers sur ce réseau. Nous avons des imperfections, mais nous sommes constants et rigoureux et nous avons élevé le niveau dans tous les domaines. Nous sommes par exemple depuis fin Juillet le seul opérateur d’avion neuf de la région et nous avons renouvelé en Juin notre certification IOSA, qui est le standard le plus élevé de sécurité aérienne dans la profession.

En mars 2019, le gouvernement avait mis en place un comité ad hoc relatif à la compétitivité et à l’attractivité de l’aéroport international Léon Mba de Libreville. Ceci afin de faire baisser les tarifs des billets d’avions. Deux ans après, pourquoi ce dossier n’a pas abouti ?

Je ne sais pas … En tous les cas, il serait urgent de le relancer. La compétitivité s’est très fortement dégradée : l’Asecna nous annonce pour Janvier une hausse de ses taxes de navigation (parmi les plus élevées au monde pourtant). La nouvelle taxe aéroportuaire représente à notre seul niveau plus de 2 milliards FCFA prélevés depuis sa mise en œuvre sur les billets des passagers. Et… personne ne s’inquiète du doublement du prix du kérozène (qui était déjà le plus cher de la région), lequel s’accompagne pourtant d’une dégradation du service. Actuellement, il y a un seul camion-citerne en service au Gabon. Notre organisation professionnelle (l’ATAG) a soumis des pistes. Elle est ouverte à la discussion.

Que doit faire le gouvernement, selon vous, pour doper le secteur aérien domestique ?

Les efforts doivent être partagés. Je suis prêt à prendre ici l’engagement de baisser la part transporteur si la part des redevances et taxes baissent, en particulier la TVA. Je veux croire que les Gabonais et les Gabonaises aiment prendre l’avion. La preuve en est le succès de notre offre à 49 900 FCFA. Qu’il me soit aussi permis ici de rappeler qu’Afrijet, compagnie 100% gabonaise, ne coûte pas un franc aux finances publiques du pays, les compagnies nationales qui opèrent en Afrique de l’Ouest et du Centre coûtent entre 30 et 90 Milliards de francs CFA par an à leurs États respectifs. Les chiffres sont publics. Elles ont aussi toutes bénéficié d’un soutien financier spécifique durant la crise du Covid, ce ne fut pas notre cas. De notre côté, afin de stimuler le marché, nous allons bientôt lancer en partenariat avec un organisme de microfinance une offre de financement de billets d’avion.

Afrijet se concentre davantage sur Libreville, Port-Gentil et Franceville. Pourquoi les autres chefs-lieux de province ne vous intéressent pas ? Est-ce l’état des infrastructures qui vous décourage ?

Aujourd’hui, ce sont les seuls aéroports aux standards. Nos aéroports de province souffrent en effet de trois maux principaux : les enceintes aéroportuaires ne sont pas hermétiques, l’inspection filtrage des passagers et des bagages n’y ait pas effectuée et il n’existe pas de service de lutte contre les incendies (SSLI). Ce sont 3 fondamentaux auxquels on ne peut déroger pour une ligne régulière car en cas d’accident, aucune assurance n’acceptera de couvrir les dommages corporels ou matériels. Sous l’impulsion de la Présidence de la république, Oyem fait actuellement l’objet d’un projet de mise aux normes. Nous espérons apporter notre contribution et ouvrir la desserte bientôt.

L’entrée en vigueur de la zone de libre-échange africaine inclut une ouverture totale des frontières aériennes. Quelles peuvent être les conséquences, à long terme, pour les compagnies domestiques ou certains fleurons nationaux ?

Le MUTAA (Marché unique du transport aérien africain) est un beau projet. Mais, de garde, ne soyons pas naïfs. Si on ouvre totalement le marché, ce sont les plus gros acteurs qui vont l’emporter et il faudra peut-être un jour demander à Addis ou à Kigali de bien vouloir ouvrir Libreville – Oyem. L’Union Africaine pourrait s’inspirer de ce qui a fonctionné ailleurs : le marché unique européen. La règle d’ouverture du marché a été mis en place en même temps qu’une autre règle fondamentale : toutes les compagnies européennes ont été privatisées. Le marché n’est ouvert qu’aux compagnies détenues en majorité par des capitaux privés. Il faut faire de même avec les compagnies nationales africaines pour que tout le monde ait les mêmes chances dans la compétition. Notre secteur souffre trop des lignes opérées à perte, qui déstabilisent l’économie du transport aérien africain.

Par exemple, la règle de la « cinquième liberté » (le droit pour une compagnie de relier deux États étrangers sans passer par sa base) doit faire l’objet d’une meilleure régulation économique. Entre Libreville et Douala, les compagnies ont une offre cumulée de 8800 sièges mensuels pour seulement 4000 passagers. Et on prévoit visiblement d’accepter de nouveaux opérateurs… Cela n’a pas de sens ! Un marché libre, ce n’est pas un marché anarchique ou la sur-offre et le dumping sont possibles. Nous, opérateurs nationaux, ne sommes pas consultés dans ces choix, sur lesquels nous sommes en situation d’apporter des éclairages.

Propos recueillis par Maxime Serge MIHINDOU (l’Union)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error

Vous aimez l'article? Merci de le partager.