De l’assimilation coloniale aux vers engagés d’aujourd’hui, la poésie gabonaise a toujours été un miroir de l’âme nationale. Mais à l’heure où les réseaux sociaux dictent les tendances, les jeunes générations du primaire et du collège saisissent-elles encore la force transformatrice de ces mots ? Des enseignants, écrivains et collectifs s’activent pour que la poésie reste un outil de transmission, de fierté et de changement social.
Les pionniers de l’assimilation (1967-1970)
La poésie gabonaise moderne prend racine à la fin des années 1960, dans un contexte encore marqué par l’empreinte coloniale. Paul-Vincent Pounah, avec Concepts gabonais et Dialectique gabonaise (1967), et Walker Deemin avec Poèmes de France (1965), incarnent cette période d’imitation du style classique français. Leurs vers, souvent dépourvus de revendications politiques, posent cependant les bases d’une expression littéraire gabonaise.

La contemplation et la dissimulation (1970-1990)
Sous le monopartisme et la censure implicite, deux courants se dessinent. Le premier, contemplatif, célèbre la nature, la femme et les traditions : Joseph-Bill Mamboungou (L’harmonie de la forêt, 1975), Georges Rawiri (Les chants du Gabon, 1975), Moïse Nkoghe-Nvé (Les fables et poèmes choisis, 1975) et Okoumba-Nkoghe (Rhône-Ogooué, 1980) en sont les figures marquantes.
Le second, plus discret, use de la symbolique et du silence pour critiquer la société : Pierre-Edgar Moujegou (Le crépuscule des silences, 1975), Ndouna Depenaud (Rêves de l’aube, 1975), Diata Duma (Soleil captif, 1982),Les fables et poèmes choisis, 1975 (L’homme perdu, 1983), Quentin Ben Mongaryas (Voyage au cœur de la plèbe, 1986), Léon Ivanga (Les sens du silence, 1980) et Bivegue Bi Azi (Milang Missi, 1990) signent des œuvres à la fois poétiques et engagées.
La dénonciation frontale (1990-2004)
Avec l’ouverture au multipartisme, la parole se libère. Janvier Nguema Mboumba (D’Ombre et de silences, 1992) ose un ton plus direct. Ferdinand Ollogo Oke, dans Vitriol Bantu (2001), manie une poésie incisive et contestataire. Lucie Mba, avec Patrimoine (2002), use de l’ironie pour égratigner les travers sociaux et politiques. La poésie devient alors un véritable espace de contestation.
Vers un engagement renouvelé (2004 à nos jours)
Aujourd’hui, des voix comme Ghell–Roxan Malola-Malola, fer de lance de cette nouvelle génération de poètes, dans son recueil de poèmes Plaidoyer Patriotique redonnent vigueur au verbe engagé, conjuguant amour du pays et dénonciation des maux qui l’assaillent : corruption, abus de pouvoir, injustice sociale. Dans le même souffle, Soleil de la Félicité, coordonné par Honoré Ovono Obame au sein de la ligue professionnelle des enseignants, inscrit la poésie dans l’actualité brûlante, évoquant notamment la transition menée par le CTRI.
Aujourd’hui encore, la poésie figure au programme de français, du primaire au collège, et reste une étape incontournable pour la préparation du Certificat d’Études Primaires. Mais au-delà de la récitation et de l’analyse en classe, son impact réel sur les élèves interroge. Comprennent-ils la portée des mots, la force des images et des messages qui, autrefois, éveillaient les consciences et nourrissaient les luttes ? Dans un contexte où les jeunes sont happés par les écrans et les contenus rapides, la question est de savoir si ces vers, pourtant toujours présents dans l’enseignement, parviennent encore à toucher leur esprit et à façonner leur regard sur le monde.
