Le Docteur en Droit public financier, Marien Mba Essono © D.R
Dans une tribune libre, le Dr en Droit public financier, Marien Mba Essono et le Doctorant en droit public, Willyhanove Obame Mbegha estiment que la nouvelle disposition du code electoral qui oblige les candidats à l’election du Président de la Republique à s’acquitter d’une caution de 30 millions de FCFA est injuste.
Ci-dessous l’integralité de cete tribune libreville :
Le nouveau code électoral gabonais a fixé à 30 millions de francs CFA le montant de la caution pour déposer une candidature à l’élection présidentielle. Une décision justifiée par le ministre de l’Intérieur comme un moyen de « marquer le caractère particulier de la fonction présidentielle » et « d’éviter les candidatures fantaisistes ». Pourtant, cette mesure soulève de sérieuses questions sur son équité et son adéquation avec les principes démocratiques. Si l’objectif de limiter les candidatures fantaisistes est louable, le recours à un critère purement pécuniaire pour juger de la légitimité d’une candidature est non seulement discutable, mais aussi profondément injuste.
Une atteinte à la liberté d’accès à la fonction présidentielle
À la lecture de l’article 43 de la nouvelle « future » constitution adoptée après le référendum de 2023, aucune précision n’est apportée au sujet d’un montant exigé à tous les candidats susceptibles de prétendre au fauteuil présidentiel. Il est donc apparent que ladite constitution renvoie indirectement cette responsabilité à la loi organique n°001/2025 du 19 janvier 2025 portant Code Électoral en République Gabonaise et promulguée par Décret n°0073/PR du 22 janvier 2025 portant promulgation de la loi organique n°001/2025 portant Code Électoral en République Gabonaise. Ledit code électoral a été élaboré par une commission nommée à la suite d’un décret pris par celui qu’il conviendrait de qualifier comme un « potentiel » candidat à la prochaine élection présidentielle du 12 avril prochain.
À la lumière des conclusions de ladite commission désignée par voie discrétionnaire, la caution prévue à l’occasion de cette course électorale s’élève à 30 millions de Fcfa. Un montant qui, en tout état de cause pourrait être qualifié de limitation financière malsaine. (Cf: Thierry Amougou, « Caution des candidats à la présidentielle : sacralisation ou marchandisation du pouvoir », [Tribune] Caution des candidats à la présidentielle : sacralisation ou marchandisation du pouvoir? – Jeune Afrique (Consulté le 29.01.2025).
Un tel montant pourrait aisément enfreindre les principes démocratiques de liberté d’accès à une fonction élective, fusse-t-elle présidentielle. Cette question a déjà fait l’objet d’une jurisprudence constitutionnelle au Congo (Cf: Cour constitutionnelle, R.Const.624/630/631 du 30 mars 2018, Annuaire congolais de justice constitutionnelle, Vol.4, 2019, pp.298 – 312.). Il sied donc de rappeler que la fixation d’une caution à l’occasion d’une élection présidentielle reste une décision qui s’appuie sur des appréciations subjectives et personnelles de la part d’un groupe de personnes choisi par le président en exercice. Ces derniers ne s’appuient objectivement sur aucune source juridique pour justifier d’un tel montant. Ce qui restreint tout candidat détenant des projets pertinents et des ambitions résolument tournées vers le bien-être des citoyens gabonais et surtout remplissant toutes les conditions prévues par la constitution citée supra , et qui se verront exclus de la course pour la simple raison qu’un critère pécuniaire leur ôte sensiblement ce droit politique intuitu personnea. Pour ces raisons susmentionnées, ce critère pécuniaire apparaît donc, de notre point de vue inapproprié.
Un critère pécuniaire inapproprié
Le montant exorbitant de 30 millions de francs CFA pose d’emblée un problème d’accès à la candidature. En effet, une telle somme est inaccessible pour la grande majorité des Gabonais, y compris pour des personnalités compétentes et populaires qui pourraient avoir des projets sérieux pour le pays.
En faisant de l’argent le principal critère de sélection, on exclut de facto une grande partie de la population de la possibilité de se porter candidate, réduisant ainsi la diversité des idées et des propositions politiques. Cela revient à instaurer une démocratie réservée à une élite financière, au détriment de la représentativité et de l’inclusion.
Le ministre de l’Intérieur justifie cette mesure par la nécessité de « marquer le caractère particulier de la fonction présidentielle ». Mais en quoi une caution financière élevée traduit-elle le sérieux d’une candidature ? Le sérieux d’un candidat ne se mesure pas à sa capacité à mobiliser des fonds, mais à la qualité de son projet politique, à son engagement envers les citoyens et à sa légitimité populaire. En privilégiant un critère pécuniaire, on risque de favoriser des candidats dont la principale qualité est d’être riches, plutôt que compétents ou représentatifs des aspirations du peuple.
Des alternatives plus démocratiques
Si l’objectif est d’éviter les candidatures fantaisistes, d’autres mécanismes, plus justes et plus démocratiques, pourraient être envisagés. Par exemple, un système de parrainage fondé sur un nombre minimum de signatures d’élus locaux et nationaux pourrait être mis en place. Bien que cette option ne soit pas applicable dans le contexte actuel, où l’élection présidentielle se tiendra avant d’autres scrutins ( députation, municipale, élections des conseillers départementaux ) elle reste une piste à explorer pour l’avenir.
Une autre alternative, plus inclusive, serait d’instaurer un parrainage populaire sous forme de pétition. Un candidat pourrait ainsi être tenu de recueillir un nombre significatif de signatures de citoyens gabonais, tant sur le territoire national qu’au sein de la diaspora. Ce système aurait l’avantage de reposer sur la légitimité populaire plutôt que sur la puissance financière. Il permettrait également de renforcer le lien entre les candidats et les électeurs, en les incitant à s’engager davantage auprès de la population.
La légitimité ne se mesure pas à l’argent
Sur le plan symbolique, il est essentiel que le sérieux d’une candidature repose sur des critères de popularité et de légitimité, et non sur la capacité financière du candidat. Bien sûr, on peut arguer qu’un candidat populaire n’aurait pas de difficulté à mobiliser les 30 millions de francs CFA auprès de ses militants et sympathisants, comme on l’a vu au Sénégal avec le duo Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Cependant, cette logique ne doit pas occulter le fait que de nombreux candidats sérieux et légitimes pourraient être exclus en raison de leur incapacité à réunir une telle somme.
En outre, cette mesure risque de renforcer la perception d’une démocratie réservée aux plus fortunés, ce qui pourrait alimenter le désenchantement et la défiance des citoyens envers les institutions politiques. Dans un contexte où la participation électorale est déjà en déclin dans de notre pays, il est crucial de mettre en place des mécanismes qui renforcent la confiance des citoyens dans le processus démocratique, plutôt que de les en éloigner.
Pour une démocratie plus inclusive
Le Gabon a l’opportunité de montrer l’exemple en adoptant des mesures qui favorisent une démocratie inclusive et représentative. Plutôt que de se reposer sur un critère pécuniaire, les autorités devraient envisager des solutions qui valorisent la légitimité populaire et la diversité des candidatures. Un système de parrainage citoyen, par exemple, permettrait de s’assurer que les candidats bénéficient d’un soutien réel au sein de la population, tout en encourageant un débat politique plus riche et plus varié.
En somme, il s’agit d’être en accord avec l’ambition de démocratie pluraliste et participative de notre nouvelle constitution.
Marien MBA ESSONO, Docteur en Droit public financier Et, Willyhanove OBAME MBEGHA, Doctorant en droit public, chercheur au Centre d’Études et de Recherches Administratives Politiques et Sociales (CERAPS).
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