Le Dr Dieudonné Munzangala-Munziewu © D.R
DE LA SANTE COMME DROIT HUMAIN
Lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies approuve et proclame la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) le 10 décembre 1948, par sa résolution 217 (III) A, elle entend promouvoir les valeurs démocratiques (liberté, égalité, justice…) dans le monde, ainsi que l’amélioration du bien-être de l’humanité. Souvenons-nous, celle-ci sort exténuée de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et certains peuples vivent encore sous la férule de la colonisation. Depuis lors, cette date est devenue celle où l’on célèbre les droits humains, notamment avec une insistance sur la dignité et l’unicité de l’humanité, corrélativement à la liberté et à l’égalité des humains : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » (DUDH, 1948, art. 1)
C’est dans cet esprit que les Gabonais viennent d’adopter, à l’issue du référendum du 16 novembre 2024 (91,64 % en faveur du OUI), une nouvelle Constitution dont le préambule réaffirme l’attachement du pays à la doctrine des droits humains : « Le Peuple gabonais, conscient de sa responsabilité devant Dieu, ses Ancêtres et l’Histoire ; porté par l’esprit du 30 août 2023, entend reprendre sa marche vers l’édification d’un Etat de droit garant des droits et libertés fondamentaux ; (…) affirme solennellement et souverainement son attachement aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, tels qu’ils résultent de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948… » En termes de santé publique, cela doit se traduire par une meilleure prise en charge des compatriotes affectés par des maladies chroniques comme le sida, le diabète et la tuberculose, souvent responsables, avec le paludisme, de catastrophes humaines silencieuses. Autrement dit, la question de la santé entre dans une problématique générale, qui est celle des droits humains. Le droit à la santé est un droit global en tant qu’il suppose bien sûr des prestations de soins, mais aussi un ensemble d’éléments corrélatifs tels que la disponibilité et l’accessibilité de l’eau potable et salubre, une quantité suffisante d’aliments sains et un logement non précaire, etc.
A l’évidence, évoquer le droit à la santé comme un droit humain, c’est sous-entendre aussi bien des droits que des libertés inaliénables. Concrètement, il s’agit de l’accessibilité du système de protection de la santé garantissant à chaque citoyen, quels que soient son rang social (Makaya ou Mamadou) et son lieu de résidence (Akébé ou La Sablière), la possibilité de jouir du meilleur état de santé possible. A cet égard, le spectacle de compatriotes sortant des taudis de Mindoubé et crapahutant la décharge éponyme pour trouver leur pitance quotidienne – tout comme celui de malades mentaux se nourrissant de rogatons dans les bacs à ordures de nos villes – est proprement insupportable. La turpitude de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et Garantie Sociale (CNAMGS), dont la presse se fait l’écho depuis peu, peut laisser songeur. De même, tout citoyen est libre de consentir à une expérience médicale ou de s’y opposer, fût-ce en vue de corroborer des travaux scientifiques sur un traitement antipaludéen. Avoir accès à une eau potable et salubre participe aussi du droit à la santé. Or, la rareté et (parfois) la turbidité de l’eau que la Société d’Energie et d’Eau du Gabon (SEEG) est censée fournir, ainsi que la récurrence des délestages, n’aident pas à la jouissance pleine de ce droit : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires… » (DUDH, 1948, art. 25)
En effet, la nouvelle Constitution s’inscrit dans cet horizon démocratique, vu que chaque citoyen devrait accéder aux prestations et soins dont il a besoin pour se maintenir en bonne santé (ou la recouvrer), sans pâtir du caractère souvent prohibitif desdits services : « L’Etat garantit à tous (…) la protection de la santé, la protection sociale, un environnement naturel préservé (…). L’Etat garantit à tous l’accès à l’eau potable et à l’énergie. L’Etat a le devoir de promouvoir la qualité de la vie et de protéger l’environnement. » (Article 37) Dès lors, le droit à la santé est un droit humain fondamental, car il a de multiples implications socioéconomiques. De sorte que la reconnaissance et le respect de ce droit dérivent d’une certaine optimisation des déterminants structurels comme les transports, l’énergie, l’eau, l’éducation, etc. Aussi, le droit à la santé s’inscrit-il dans une sémantique politique qui valorise la déontologie et l’éthique médicales. Or, c’est là que le bât blesse, à savoir que le serment d’Hippocrate est purement illusoire, les préoccupations chrématistiques étant la seule boussole qui vaille dans nos hôpitaux.
Au total, pour que l’universalisme républicain proclamé par les pouvoirs publics sorte du formalisme juridique, il faut donner plus de vigueur à la CNAMGS – les assurances privées sont une gageure pour le plus grand nombre -, ce qui permettrait de réduire davantage les inégalités socioéconomiques et la mortalité infanto-maternelle, d’une part, d’assurer le progrès social et l’espérance de vie de la population générale, d’améliorer l’accessibilité des soins, d’autre part, au sens de John Rawls : « La distribution de soins médicaux, comme celle des biens primaires en général, doit satisfaire les besoins et les exigences des citoyens considérés comme libres et égaux. Ces soins font partie des moyens généraux nécessaires pour garantir l’égalité équitable des chances et notre capacité de tirer avantage de nos droits et libertés de base, et d’être ainsi des membres normaux et pleinement coopérants de la société pendant toute notre vie. » (J. Rawls, La justice comme équité. Une reformulation de Théorie de la justice, trad. B. Guillarme, Paris, La Découverte, 2003, p. 237)
Tout compte fait, la pauvreté est source de nombreux maux qui affectent l’Etat de droit. Pour juguler le paupérisme et amorcer un développement réel, il faut obéir à une exigence démocratique, à savoir la solidarité publique à l’égard des compatriotes les plus mal lotis. Que l’on prenne la DUDH ou la Constitution fraîchement adoptée, les droits humains ne doivent pas s’arrêter au caractère sentencieux de ces textes ; ils doivent (se) vivre au quotidien. C’est connu : le secteur santé n’est pas le seul concerné par ces ruptures de citoyenneté. La disparition tragique d’un soldat dans des conditions troubles, qui fait couler tant d’encre et de salive ces derniers jours, en est l’illustration, ab absurdo. Et voulant mettre un terme à l’enchaînement fatal des choses (abyssum abyssus invocat), les autorités ont annoncé des mesures. Ainsi, le rôle protecteur supposé de l’Etat et le caractère synallagmatique des devoirs, droits et libertés que comprend la nouvelle loi fondamentale sont constitutifs du lien social entre Gabonais librement égaux et également libres.
Dr Dieudonné MUNZANGALA-MUNZIEWU
Chargé de Recherche CAMES en Philosophie Morale et Politique
Institut de Recherche en Sciences Humaines (Irsh-Cenarest)