Suppression prévue du poste de Premier Ministre : un danger pour le chef de l’Etat ? (Libre tribune)

En attendant l’examen du projet de la nouvelle constitution au Parlement, des sources bien renseignées en savent déjà un peu plus sur les principales innovations du texte. A moins que les parlementaires ne désavouent les experts du Comité constitutionnel, la future loi fondamentale devrait consacrer la suppression du poste de Premier Ministre, en droite ligne avec le renforcement du régime présidentiel. Raymond Ndong Sima serait ainsi sur le point de devenir le dernier locataire de l’immeuble du 2 décembre en tant que Chef du Gouvernement. Justifiée par la volonté de redistribuer les rôles entre les pouvoirs exécutif et législatif, cette réforme institutionnelle pourrait toutefois avoir des effets secondaires. En plus d’alourdir son agenda, elle pourrait l’affaiblir sur la scène politique. Autant dire qu’il s’agit là d’une manœuvre risquée.

Contexte et prétexte

Jugé encombrant et inopérant, le Premier Ministre ne fait pas l’unanimité dans le paysage institutionnel gabonais. Dans le débat en cours sur la restauration des institutions, sa cohabitation avec le Président de la République au sommet de l’exécutif lui est défavorable. Perçu par l’opinion comme un fusible politique, son rôle varie entre le faire-valoir et le bouc émissaire. Autrement dit, le Premier Ministre n’exerce qu’une influence limitée, malgré son statut de patron de l’administration. Certains intouchables des régies financières et pétrolières échappent notamment à son contrôle. On se souvient encore de cette boutade de Jean Eyeghe Ndong, dernier Premier Ministre d’Omar Bongo, affirmant qu’il y a des Directeurs Généraux plus puissants que lui.

En réalité, le titre de Chef du Gouvernement n’a qu’une valeur symbolique. Les grandes orientations et les principales décisions de la gouvernance publique sont actées par le cabinet présidentiel. Léon Mébiame, Premier Ministre au temps du parti unique, avait d’ailleurs affirmé n’avoir jamais gouverné. Ainsi, pour les partisans du régime présidentiel, la suppression de la Primature permettrait de mettre fin à cette forme d’hypocrisie politique. Si elle renforce les pouvoirs du Président de la République, c’est aussi pour le mettre face à ses responsabilités. En étant désormais l’unique patron de l’exécutif, il aura à assumer ses choix et devra défendre son bilan politique le moment venu. Aussi, le retrait de la Primature du circuit institutionnel vise à simplifier la gouvernance publique et à fluidifier le circuit administratif. Elle donne au Chef de l’Etat la possibilité de s’impliquer directement et plus rapidement dans la gestion du quotidien de ses compatriotes. Mais c’est peut-être là aussi un risque.

Les effets indésirables

En s’accaparant tous les leviers du pouvoir exécutif, le Chef de l’Etat n’est pas sans courir un risque. D’une part, la disparition du poste de Premier Ministre aura pour conséquence d’alourdir son agenda. En effet, le régime Présidentiel consacre le Chef de l’Etat comme l’homme à tout faire. C’est l’incontestable maître à jouer. Entre la mise en œuvre de son projet de société et la gestion des crises sectorielles, le locataire du palais Rénovation aura les yeux partout. Le regard fixé sur la courbe de croissance, il devra en même temps s’occuper du quotidien des Gabonais, en plus du vaste domaine de la politique extérieure et de la coopération économique.

D’autre part, le régime présidentiel sans Premier Ministre expose politiquement le Chef de l’Etat. Face aux critiques virulentes de l’opposition radicale et de la société civile, il prendra la parole plus que d’habitude pour assumer ses choix et ses positions. Sans le bouclier de la Primature, il essuiera de plein fouet les coups de ses détracteurs. Jusqu’ici, il suffisait au Chef de l’Etat de nommer un nouveau Premier Ministre pour tempérer les ardeurs des contestataires. Les changements de Gouvernements étaient normalement destinés à rassure l’opinion. Désormais, le Chef de l’Etat sera privé de ce stratagème. En cas de vives contestations, il devra soit se ranger, soit s’entêter à ses risques et périls.

Comparaison n’est pas raison

Constat fait, le régime présidentiel sans Premier Ministre rencontre peu de succès dans l’espace francophone africain, à l’exception du Benin de Patrice Talon. L’on ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de faire le lien avec l’expérience sénégalaise. Après sa réélection en 2019, Macky avait promulgué une loi portant suppression du poste de Premier Ministre, renforçant ainsi le caractère présidentiel du régime. Sauf que cette réforme avait largement desservi le Président réélu. Ainsi, deux ans après avoir été supprimé, le Poste de Premier sera rétabli en décembre 2021 à la suite d’un vote à l’Assemblée nationale. Pour autant, rien ne nous autorise à transposer l’expérience sénégalaise au Gabon, d’autant plus que les partisans du régime présidentiel ont de solides références du côté du Ghana.

L’on sait, en effet, que le Général Brice Clotaire Oligui Nguema est un fervent admirateur de Jerry John Rawlings, ancien Chef d’Etat du Ghana, pays dirigé par un régime présidentiel sans discontinuité depuis des décennies. Il est d’ailleurs évident que les succès de cet Etat anglophone en matière de démocratie sont une source d’inspiration pour les artisans de la transition au Gabon. Régulièrement cité en exemple, le pays dirigé par Nana Akufo-Addo est un des rares à connaître une dévolution du pouvoir sans heurts au sommet de l’Etat. Ce qui en fait un cas d’école en matière de stabilité politique en Afrique subsaharienne.

Quoiqu’il en soit, comparaison n’est pas raison en matière de régime politique. Chaque peuple décide de sa constitution en fonction de son vécu historique et de son contexte socio-culturel. Au-delà des simples références académiques et internationales, le prochain régime politique du Gabon doit être imprégné des réalités endogènes. Sans cela, la suppression du Premier Ministre risquera de produire des effets secondaires. Comme en médecine, ceux-ci surviennent lorsque la composition ou la posologie du médicament n’est pas adaptée au mal traité.

Michel Ndong Esso est un analyste politique indépendant. Enseignant, il est titulaire d’une Maîtrise Ès Lettres, option philosophie politique (paix et guerre)

One thought on “Suppression prévue du poste de Premier Ministre : un danger pour le chef de l’Etat ? (Libre tribune)

  1. Pourquoi ne pas déclarer le Président de la République Roi du Gabon? Le gabonais est tellement intelligent qu’il adore faire ce que d’autres ne font pas.

    Un Premier Ministre doit être issu du pari politique qui gagne des élections législatives.
    Ahhh Pardon. J’avais oublié qu’il n’y a plus de Partis Politiques au pays des bénis oui oui. Dommage!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error

Vous aimez l'article? Merci de le partager.