L’actualité politique récente au Gabon a été marquée par un fait inédit : une déclaration solennelle publiée sur le réseau social X par le président de la République lui-même. Il ne s’agissait ni d’une rumeur, ni d’un communiqué officieux, ni d’une analyse externe, mais bien d’une prise de parole officielle et publique, émanant directement du chef de l’État, qui est également chef du gouvernement et chef du parti présidentiel.
Dans ce message, le président a évoqué des irrégularités dans la gestion des candidatures aux élections législatives et locales de septembre, appelant à davantage de transparence et de rigueur dans le fonctionnement des institutions. Ce positionnement suscite une interrogation majeure : comment celui qui incarne le sommet de l’État peut-il adopter la posture d’un observateur extérieur, comme s’il n’avait aucune responsabilité dans les dysfonctionnements qu’il dénonce ? Ce paradoxe met en lumière une tension fondamentale.
En effet, l’autorité qui cumule les plus hautes fonctions exécutives et partisanes ne peut simultanément se présenter comme un simple commentateur. S’il existe des irrégularités, elles relèvent nécessairement de sa responsabilité directe ou, à tout le moins, de son devoir de correction. En s’exprimant ainsi, le président brouille les repères institutionnels, confondant le rôle de garant avec celui d’analyste, et affaiblissant par conséquent la crédibilité même des institutions qu’il dirige.

Le calendrier électoral : un choix révélateur
Le premier élément problématique concerne la fixation du calendrier électoral. La tenue des scrutins en pleine rentrée scolaire traduit une hiérarchisation discutable des priorités nationales. Alors que les familles se trouvent mobilisées par les charges éducatives, l’État concentre son énergie sur l’organisation précipitée d’élections. Ce choix, au-delà de ses implications pratiques, envoie un signal politique : l’urgence électorale prévaut sur l’investissement dans l’éducation, qui demeure pourtant l’un des piliers de l’avenir collectif.
Une gestion parlementaire incohérente
Un second élément d’analyse tient à l’organisation de la session budgétaire. La loi de finances, texte fondamental de toute année parlementaire, se trouve traitée dans un cadre institutionnel paradoxal. Les députés sortants débattent du projet, mais ne disposent pas du pouvoir de voter. Les nouveaux élus, quant à eux, sont appelés à voter sans avoir participé aux débats. Cette disjonction entre délibération et décision réduit la fonction parlementaire à une formalité dépourvue de sens et installe une confusion inédite dans la pratique législative.
Entre promesse de restauration et reproduction des dérives
À la suite du changement de régime du 30 août 2023, les autorités avaient affirmé leur volonté de restaurer les institutions et de rompre avec les pratiques du passé. Un an plus tard, l’écart entre le discours et la réalité apparaît considérable. Loin de mettre en place des réformes structurelles, le pouvoir se caractérise par une gestion patrimoniale, la distribution de postes selon des logiques de clientélisme et l’utilisation de la transparence comme un instrument rhétorique plus que comme une exigence concrète. Ce décalage alimente l’idée d’une restauration réduite à une mise en scène.
L’opacité du financement partisan
Une autre question mérite attention : celle des financements politiques. L’exemple du parti UDB, encore récent et dépourvu d’ancrage territorial solide, est révélateur. Sa capacité à présenter un nombre élevé de candidats sur l’ensemble du territoire, avec un coût de cautions estimé à plus de 400 millions de francs CFA, soulève des interrogations légitimes. L’absence d’explications claires sur l’origine de ces fonds traduit une opacité incompatible avec l’exigence de transparence que le président appelle par ailleurs de ses vœux.
Les fragilités internes du pouvoir
Deux éléments accentuent cette perte de cohérence : d’une part, la présence au sein du gouvernement de ministres fragilisés par des affaires judiciaires ; d’autre part, une gestion partisane marquée par le parachutage de candidats sans légitimité locale ni préparation méthodique. Ces pratiques renforcent l’idée d’un pouvoir qui, loin de rompre avec les errements du passé, les reproduit dans des formes parfois encore plus marquées.
Une souveraineté fragilisée
Enfin, la tendance à externaliser certaines responsabilités institutionnelles interroge. Recourir à des instances étrangères pour régler des litiges internes ou pour protéger des marques symboliques traduit une dépendance préoccupante. Cela met en lumière l’incapacité à exercer pleinement la souveraineté nationale dans des domaines qui devraient pourtant relever exclusivement de la compétence de l’État. En définitive, le président de la République apparaît moins comme un acteur assumant ses responsabilités que comme un observateur dénonçant les failles dont il est lui-même comptable.
Cette posture, qui brouille les repères institutionnels et entretient la confusion des rôles, illustre une crise profonde de responsabilité politique. Pour le Gabon, l’enjeu dépasse la question du calendrier électoral ou du financement partisan : il s’agit de savoir si l’État entend se doter d’institutions solides et crédibles, ou s’il continuera à fonctionner comme un théâtre politique, où la mise en scène l’emporte sur l’action.
Michel Ongoundou Loundah, acteur politique