Lors d’un récent séjour à Port-Gentil, Sosthène Nguema Nguema, Ministre du Pétrole et du Gaz, s’est durement adressé aux acteurs de l’industrie pétrolière et gazière avec l’ambition de booster et dynamiser le secteur. Son message, jugé objectif et percutant par l’opinion, a fixé le cap en indiquant “les objectifs, les réglages et les attentes pour l’avenir”, tout en soulignant “la résilience et l’expertise du secteur malgré l’absence de découvertes majeures récentes”.
Parmi les sujets abordés, celui de la Responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Sur ce volet, il a rappelé que “les fonds de RSE doivent être domiciliés sur le territoire national”.
Avec le recul nécessaire qui s’impose, il nous parait utile de nous saisir de cette actualité pour mettre en lumière et en perspective les enjeux d’une mise en œuvre efficiente de la RSE pétrolière au Gabon susceptible de créer un impact durable au profit de la communauté locale.

Au Gabon, et plus particulièrement dans le secteur pétrolier, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) est devenue un mot-clé omniprésent… mais souvent mal compris dans l’opinion. Trop souvent, pour certains opérateurs, elle se réduit à quelques opérations de sponsoring, de mécénat ou à des gestes ponctuels de relations communautaires. Des actions certes visibles, mais rarement structurées dans une stratégie à long terme capable de transformer durablement les communautés locales.
En réalité, dans ses fondements, la RSE est d’abord et avant tout une aspiration à traduire concrètement les préceptes du Développement Durable dans le fonctionnement et la gouvernance des entreprises. Une définition plus étendue donne à la Responsabilité Sociétale des Entreprises la capacité de conjuguer performance économique, performance sociale et performance environnementale. C’est donc une démarche transversale qui doit fournir aux dirigeants des informations d’aide à la décision. Dans certaines conditions ou contexte, cas du Code Pétrolier au Gabon, l’application d’un large pan de son contenu peut être rendu coercitif avec des pénalités à la clé en cas de manquements ou violation.
En effet, ce cadre légal existe bel et bien au Gabon. Le Code des hydrocarbures de 2019, complété par ses décrets d’application, introduit des obligations claires en matière de contenu local, de formation, de transfert de compétences et d’achats auprès d’entreprises gabonaises. Une Direction Générale rattachée aux services centraux du Ministère du Pétrole et du Gaz a même été créée et pourvue depuis Janvier 2025. L’objectif des Gouvernants était alors double : que la richesse issue du pétrole profite plus directement aux populations et que les opérateurs contribuent à renforcer le tissu économique local.
Saupoudrage
Le problème, c’est que la frontière entre ce qui relève de la RSE et ce qui tient de l’action ponctuelle reste floue. Offrir des maillots de football à une équipe locale ou parrainer un concert ne peut pas se substituer à un programme structuré d’insertion professionnelle, de soutien aux PME locales ou de réhabilitation des sites impactés. La performance sociétale en matière de RSE doit être mesurable et auditable avec des indicateurs de performance clairs. Des rapports annuels à la société devraient être exigés pour alimenter le tableau de bord de la Tutelle, garantir la transparence et limiter les déconvenues et carences dans les reportings aux instances supranationales.
Dans un contexte post-transition où les attentes sociales sont fortes et où les communautés réclament des bénéfices tangibles, cette confusion est dangereuse. Elle alimente frustrations, tensions et, parfois, une perte de confiance entre opérateurs, État et populations.
Cette tension a d’ailleurs atteint son paroxysme en Juillet 2023, avec une triste prise d’otages, par un riverain désœuvré, dans les environs du site d’exploitation de Coucal. Celle-ci avait alors justifié l’intervention exceptionnelle des Forces de Défense et de Sécurité avec une malheureuse issue fatale pour le forcené et des blessés côté forces de l’ordre. Le risque de voir ce type d’incidents se répéter est réel mais pas insurmontable.
D’autant qu’en l’absence de nouvelles découvertes à terre et avec le vieillissement des principaux champs en exploitation, la marge de manœuvre des opérateurs est réduite à la portion congrue. La substitution à l’Etat dans ses missions régaliennes reste un risque et une limite qu’aucun opérateur ne peut se permettre de franchir.
C’est en cela que les mécanismes PID (Provision pour Investissements Diversifiés), PIH (Provision pour Investissement des Hydrocarbures) et FDCL (Fonds de Développement des Communautés Locales) représentent de sérieux leviers pour amorcer une transformation durable dans la façon dont le pays peut maintenir un équilibre entre le contrôle de ses ressources et l’assurance d’en faire profiter à la population, sans se priver de l’apport très attendu des potentiels investisseurs dans le secteur.
Il n’est donc ni trop tard, ni prématuré pour opérer un changement de cap. Cela pourrait passer par trois leviers majeurs :
Clarifier la RSE
Séparer clairement mécénat, sponsoring et véritable responsabilité sociétale, avec des objectifs mesurables, inscrits dans les contrats pétroliers. Transformer la Direction Générale du Contenu Local, en Direction Générale de la RSE (le Contenu local étant une composante opérationnelle de la RSE). L’une des missions de cette unité sera de documenter une base de données permanente sur la performance sociétale des entreprises opérant dans ce secteur et permettre par exemple de nourrir et faciliter le travail de la Coordination Nationale de l’EITI dans l’élaboration de ses rapports annuels.
Aligner la RSE sur les priorités nationales
Orienter les investissements sociaux vers la santé, l’éducation, la formation, la transition énergétique et la diversification économique. Des passerelles avec les organismes tels que l’IGAD (Institut Gabonais d’Appui au Développement), l’ANPI (Agence Nationale pour la Promotion des Investissements), BCEG (Banque pour le Commerce et l’Entrepreneuriat du Gabon) et l’ANPE (Agence Nationale pour la Promotion de l’Emploi) pourraient être envisagées pour soutenir cet effort.
Renforcer le contenu local
Accompagner les PME gabonaises pour qu’elles puissent répondre aux standards techniques du secteur, tout en créant des emplois durables. Une intéressante synergie est déjà en place avec la CEPAG (Convention des Entreprises Pétrolières Autochtones du Gabon) qui œuvre notamment à donner une priorité aux entrepreneurs autochtones dans l’accès aux marchés pétroliers. Il reste la question de l’emploi précaire des Gabonais. Le recours abusif à la sous-traitance, les licenciements abusifs et les interruptions de carrière des professionnels nationaux suite aux rachats ou transferts d’actifs, amplifient cette précarité soulignée et dénoncée par le Ministre du Pétrole et du Gaz lors de son passage à Port-Gentil.
La Société Nationale des Hydrocarbures, appelée à devenir le premier producteur du pays au regards des récentes acquisitions, devrait également se montrer à la hauteur de ses ambitions et des enjeux de la RSE.
En clair, si les engagements énumérés plus haut sont intégrés aux clauses contractuelles et suivis par un reporting transparent, alors la RSE ne sera plus perçue comme un prétexte pour soigner son image ou une simple vitrine, mais un véritable moteur de développement inclusif.
Le Gabon dispose d’un atout stratégique : un secteur pétrolier solide et un cadre légal déjà en place. Ce qui manque, c’est la volonté collective d’en faire un outil de transformation sociale et économique. La RSE n’est pas un luxe ou une option. C’est une responsabilité. Et dans un pays où chaque baril compte, il est urgent que chaque action compte aussi.
Par Hugues-Gastien MATSAHANGA, Spécialiste RSE et Communication Industrielle, diplomé en Sociologie, Spécialiste en RSE et Communication Industrielle, chargé de cours dans la filière Master Pro IS2P/PGTS au département de Sociologie à l’Université Omar Bongo de Libreville et ancien cadre de Shell Gabon et à Addax Petroleum Oil & Gas Gabon.
