Une vue des piétons traversant la »voie Express », la route 2X2 voies, à grande circulation à côté de la station du quartier Plein-Ciel de Libreville, une zone déclarée accidentogène @ Image d’archives Gabonactu.com
Libreville, Gabon (Gabonactu.com) – Dans une tribune libre, Fred-Paulin Abessolo Mewono, chercheur à l’ Institut de recherche et des sciences humaines (IRSH), relève quelques incongruités et manquements concourant aux accidents de circulation plutôt dramatiques et récurrents au Gabon. L’universitaire pointe du doigt l’incivisme des usagers et des pouvoirs publics. Bonne lecture
INCIVILITES ET INSECURITES ROUTIERES A LIBREVILLE: CES PETITS « RIEN » QUI CONDUISENT AUX DRAMES.
La route est un espace public qui concentre de multiples acteurs. Le rôle et obligation de chacune de ces parties sont prédéfinis par la loi et les usages. Mais force est de constater que ces usages et les lois établis sont bafoués indifféremment par toutes les parties.
Le quotidien des familles gabonaises est ainsi meublé par d’horribles nouvelles faisant état d’accidents de circulation, graves, voire mortels. Ces mêmes populations souffrent de situations déplorables dues à des incivilités commises par des semblables. Nous tentons ici de mettre en lumière, à travers des faits quelques fois anodins, mais non moins importants.
Sans prétendre à l’exhaustivité, ces écueils peuvent se présenter sous trois aspects:
– Les obstacles institutionnels. Ils sont dus au laxisme de l’État central et des collectivités locales qui laissent prospérer des comportements et attitudes incorrects au mépris de la loi ;
– Les incivilités dues aux usagers de la route (automobilistes et piétons) ;
– Les incivilités individuelles, celles qui sont provoquées par les occupants des abords des voies, commerces et habitations.
LES INCIVILITES INSTITUTIONNELLES
La plus grande partie réseau routier de la capitale gabonaise est dans un piteux état. Hormis le front de mer, les rues du quartier Angondjé, dans la commune d’Akanda (dans sa partie urbanisée), le reste n’est que désolation. Même la voie rapide dit « Voie Express » présente, par endroits, de nombreuses crevasses.
L’entretien régulier et rigoureux de ces voiries urbaines est tout simplement renvoyé aux calendes grecques, par négligence de l’avis de certains ou encore du fait de crédits insuffisants ou inexistants. L’état de ces voiries n’est pas sans conséquences sur l’état mécanique des véhicules et conduit quelques fois l’enclavement de certains quartiers de Libreville. Il n’est donc pas rare de voir un taxi refuser d’embarquer des clients proposant une mise importante pour se rendre dans certains quartiers à cause de l’état des voiries. Les chaussées sont « trouées » sur de longues distances. Ces crevasses forcent les automobilistes à slalomer, en ralentissant et accélérant sur de courtes distances. La mécanique des automobiles est ainsi mise à rude épreuve.
En outre, le défaut ou l’insuffisance d’éclairage public dans les villes du Gabon est aussi une des causes des nombreuses catastrophes enregistrées. On peut même signaler que certaines agglomérations sont complètement plongées dans l’obscurité. Ce défaut d’éclairage ou cet éclairage aléatoire (dans le meilleur des cas) des rues pose de toute évidence un problème de visibilité nocturne chez les automobilistes ; tout comme il représente un danger pour les piétons qui tentent, finalement à leurs risques et périls, de traverser les rues en pleine nuit.
La difficulté aurait pu être contournée avec les passerelles à installer à intervalles réguliers sur la voie rapide pour diminuer le nombre de victimes en cas d’accidents. Ces passerelles restent, à ce jour, des arlésiennes
Sur un tout autre plan, tous les Librevillois ont constaté que des haies de fleurs et d’arbustes ont été installées sur les terre-pleins séparant les voies. Au-delà de l’embellissement recherché, elles constituent aussi un obstacle à une conduite sécurisée. Quelques fois, au péril de leur vie, des piétons y trouvent un « abri » lorsqu’ils tentent de traverser les chaussées. Bien souvent, les conducteurs roulant à vive allure ont surpris par leur présence.
Par ailleurs, de grands monuments décoratifs ont été érigés sur certains ronds-points de la ville de Libreville. À l’exercice, autant ils participent à l’embellissement de la ville, autant ils présentent un danger pour la circulation. De fait leur caractère massif détourne facilement l’attention de l’automobiliste. Et dans le cas où un véhicule dérape aux abords d’un de ces monuments, par temps de chaussée glissante, il est possible qu’il aile s’y encastrer aux risques et périls des occupants. Le même problème se pose avec les panneaux publicitaires installés soit aux abords des croisements, soit à proximité des virages difficiles à négocier pour les automobilistes. Ils ont pour effet de détourner l’attention des conducteurs tout en altérant leur visibilité sur les conditions de circulation.
Sur un autre plan, les travaux d’extension du réseau de distribution de l’eau laissent des chaussées éventrées à de nombreux endroits. C’est à croire que les entreprises commises à ces taches ne signent pas auparavant un contrat de remise en état des voiries. Là encore, la circulation perd de sa fluidité.
Une autre question importante est la signalisation routière. Il est admis qu’elle est composée de panneaux, du marquage au sol et des feux. Elle permet d’informer l’usager des règles en vigueur et de l’orienter dans ses déplacements. Bien conçue et réalisée, elle réduit les causes d’accident et facilite la circulation. Mais visiblement, cette signalisation fait globalement défaut au Gabon ; et quand elle existe elle est le plus souvent ignorée et violée. Ainsi, pour ce qui concerne les feux tricolores, nombre d’entre eux ne fonctionnent pas. Même les poteaux d’aluminium sur lesquels ils sont accrochés font souvent les frais des automobilistes indélicats qui les renversent lors des accidents. Ces poteaux ne sont jamais remplacés et les contrevenants non plus ne sont jamais inquiétés. Ceci est très certainement dû à l’absence d’une police de la route qui serait chargée de traquer les mauvais conducteurs mais aussi de guider les usagers dans leurs déplacements.
Un autre fait qui altère le bien vivre ensemble est la quasi-impunité dont jouissent les conducteurs de véhicules administratifs et militaires. Ils sont exemptés de contrôles : la plaque d’immatriculation, et pour les militaires leurs coiffes-képis, bérets ou calots- suffisent à leurs faire passer tous les poste de contrôle. Les personnes conduisant ces véhicules ne sont pas toujours celles à qui ils ont été attribués par les administrations respectives. Parents amis et connaissances en jouissent allégrement. Ils servent aussi de véhicules transports scolaires pour la progéniture et peuvent être offerts en cadeau aux conjoints ou même maitresses. En cas d’accidents, le véritable titulaire du véhicule revient sur les lieux pour faire prévaloir ses position et grades avec le fameux « Vous savez à qui vous avez affaire ».
À Libreville ou dans une autre ville du pays, il n’est pas rare de croiser un automobiliste à bord d’un véhicule dans un état de délabrement avancé et même quelque fois « bon pour la casse ». Ce dernier peut brandir, lors d’un contrôle routier, un certificat d’aptitude à circulation et même au transport de passagers. Enquête faite, il appert que des défauts graves ont effectivement été détectés, mais au final le certificat d’aptitude est délivré moyennant bien entendu de fortes sommes d’argent. Bien entendu, ceci n’est pas une règle générale.
LES INCIVILITES DUES AUX USAGERS DE LA ROUTE (AUTOMOBILISTES ET PIÉTONS)
L’État et les collectivités locales ne sont pas les seuls acteurs de la perturbation de la fluidité de la circulation ou des incivilités constatées. Les usagers de la route eux-mêmes ont une très grande part de responsabilité quant aux mauvaises conditions de circulation. On note entre autre :
– Non-respect du code de la route ;
– Usage du téléphone au volant ;
– Usage intempestif de l’avertisseur sonore (klaxon) ;
– Conduite en état d’ébriété, quelques fois avancé;
– Traversée lente et nonchalante de la chaussée en dehors des passage-piétons ;
– Traversée de la chaussée téléphone portable visé à l’oreille ;
– Non-respect de ces passages piétons par les automobilistes. Qui n’a jamais entendu un conducteur dire à piéton « traverse vite, la route c’est pour les voitures »
– Conduite sans permis;
– Vitesse excessive;
– Manque de courtoisie au volant;
– Règne de loi de la plus forte et de la plus puissante;
– Non-respect des signalisations;
– Dépassement dangereux (à droite);
– Dépassement à gauche par franchissement de la ligne blanche continue;
– Loi du plus fort (la mienne est plus grosse que la vôtre) ;
– Agressivité;
– Manque de respect envers les forces de l’ordre;
– Camion circulant en toute vitesse et très dangereusement à droite;
– Stationnement gênant et dangereux;
– Non-respect des priorités;
– Non-respect des autres usagers de la route et de la rue notamment les piétons.
LES INCIVILITES INDIVIDUELLES
D’un autre côté, il est de notoriété publique que les villes gabonaises sont très peu urbanisées. Et dans le cas où des plans d’urbanisme ont été esquissés, ils se sont révélés inopérants. Toutes les études, plans ou projets qui se sont succédés visant à faire de nos villes des agglomérations modernes, se sont heurtés à l’incivisme des populations d’une part, et au manque de fermeté de l’administration d’autre part. Ainsi, assez loin de nous, en avril 1954 lors de la présentation du plan directeur d’urbanisme de Libreville, les membres du conseil représentatif disaient déjà que le problème essentiel de Libreville était l’évacuation des eaux par un réseau d’égouts modernes c’était pour eux l’impératif numéro 1. Venait ensuite le remblayage des bas-fonds marécageux de l’Akémidjogoni et de la Batavéa avec du sable prélevé par une drague dans l’estuaire afin d’établir des quartiers africains neufs. L’aménagement des bassins versants de Libreville faisait déjà donc débat. Et l’on reprochait déjà aux populations de se servir des différents cours d’eau comme dépotoirs. Il leur reproché de modifier les cours de ces rivières en érigeant des habitations quasiment sur leurs lits. Et les conséquences de ces incivilités et incivismes sont connues. De nos jours, la situation n’a pas beaucoup changé ; les lits des rivières sont plus que jamais des déchargés publiques. Quant aux abords des rues, ils sont devenus des zones commerciales à part entière.
En effet, trottoirs et accotements sont transformés en lieux de commerce, en garages et autres stations de lavage d’automobiles. Le piéton, à qui ces espaces sont réservés, est obligé d’aller chercher son passage sur partie dédiée à la circulation des automobiles, et non plus sur trottoir. Ce spectacle est encore plus perceptible dans les quartiers sous-intégrés et à forte densité humaine. Là, salons de coiffure et autres pressings artisanaux évacuent leurs eaux usées directement sur la route.
Dans le même ordre d’idées, qui peut témoigner n’avoir jamais vu une dame sortir de son domicile et déverser une bassine d’eau savonneuse sur la chaussée bitumée. Comble d’incivisme, il est interdit dans nos cultures de passer sur les eaux usées d’une tierce personne. Aux endroits où ces eaux sont déversées, Il se crée, à la longue, de minuscules fissures qui se transforment en crevasse puis en nid de poule avant de devenir de véritables « cratères » qui causent le ralentissement de la circulation.
De même, il n’est pas rare de voir le tenancier d’un débit de boissons installer tables et chaises à moins de deux mètres du passage des véhicules, mettant de ce fait en danger ses clients. Ces comportements sont rarement sanctionnés par les forces de sécurité et les agents des collectivités locales qui se contentent de prélever taxes et dessous de table. Ils autorisent implicitement les contrevenants à continuer de violer allégrement les lois et règlements en vigueur.
Une autre forme d’incivilité concerne les immeubles et autres bâtisses massives construites sur des parcelles jouxtant les voies. Très peu de promoteurs s’embarrassent de prévoir un parking, et c’est le trottoir d’en face qui va en faire office. S’ensuivront, ralentissement de la circulation, gène du passage des piétons. Comme l’a préconisé Beth Alicandri de l’AIPCR lors d’un colloque sur l’amélioration de la sécurité routière « l’amélioration des infrastructures a un impact positif sur le facteur humain compte tenu de leur interdépendance. Il est donc nécessaire d’entreprendre des actions relatives à l’amélioration des infrastructures par des mesures appropriées, mises en œuvre et suivies par rapport à leur fonctionnalité ».
Comme partout dans le monde « Les accidents sont généralement dus à l’absence des accotements, l’existence des obstacles le long des routes, l’insuffisance de signalisations, des défauts d’éclairage, etc. Il est donc nécessaire de prendre des mesures de sécurité qui, pour la plupart, sont peu coûteuses mais constituent des moyens importants de lutte contre l’insécurité routière ». In fine, Les autorités pourraient, donc, pour tenter de ramener le minimum d’ordre dans la circulation : Insérer des cours de code en milieu scolaire ; Créer des voies de dépassement ; Renforcer les signalisations horizontales et verticales; Construire de larges accotements; Mettre en en place des outils techniques de surveillance des vitesses; Dégager les emprises par l’élimination des obstacles et mettre en place des barrières de protection dans les virages, et des barrières permettant de canaliser le mouvement des piétons. D’un autre côte, une redéfinition des champs de compétences de chaque entité (État et collectivités locales) doit être opérée. Cela mettra un terme à l’anarchie qui semble s’est installée.
*Fred-Paulin ABESSOLO MEWONO
Historien, Chercheur à l’IRSH
Membre de l’Observatoire des dynamiques historiques
et d’analyse des institutions et des politiques publiques
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