Abstention électorale : faut-il craindre le silence des urnes ? (Tribune libre)

La participation à la présidentielle avait dépassé 70 %. Les élections législatives ont révélé une abstention massive. Cet écart révèle une vérité préoccupante : le silence des urnes. Un silence qui n’est jamais neutre. Il traduit une crise de confiance qui menace les fondements mêmes de la représentation nationale.

À chaque élection législative, la même inquiétude revient : celle du taux d’abstention. Phénomène mondial, il prend au Gabon une tournure alarmante. Quand plus de la moitié du corps électoral choisit de ne pas s’exprimer  et cela après avoir été plus de 70 % à participer à l’élection présidentielle il y a seulement quelques mois il ne s’agit plus d’un simple désintérêt passager.

C’est un signal d’alarme démocratique

Dans toute démocratie, voter n’est pas un geste anodin. C’est un acte de souveraineté. Or, quand la majorité des citoyens se détourne des urnes, le pouvoir se concentre entre les mains d’une minorité mobilisée.

Ce paradoxe est dangereux : une Assemblée nationale issue d’un faible taux de participation ne peut prétendre incarner pleinement la voix du peuple. Elle devient une institution fragile dans sa légitimité, vulnérable dans ses décisions, et contestée dans son autorité morale.

Plus l’abstention monte, plus la démocratie recule. Le citoyen gabonais, comme beaucoup d’autres dans le monde, exprime par son abstention une fatigue politique.

Il ne croit plus aux promesses. Il doute de la sincérité des institutions. Il observe la répétition des visages, des discours et des échecs.

Ce n’est pas l’indifférence qui domine, mais la défiance. Or, la défiance électorale finit toujours par devenir défiance politique.

Quand le peuple ne croit plus aux urnes, il se tourne vers la rue, vers les réseaux sociaux, ou vers le silence. C’est alors la démocratie représentative elle-même qui vacille.

Le taux d’abstention est le thermomètre d’une société malade de sa gouvernance. Il révèle une fracture entre les institutions et le peuple, entre les dirigeants et les dirigés.

La politique, autrefois espace de débat et d’idées, devient trop souvent un théâtre d’ambitions personnelles et d’intérêts économiques. Comment s’étonner alors que le citoyen, désabusé, se retire du jeu ?

Cette démobilisation électorale n’est pas une simple erreur civique : elle est le reflet d’un système en perte de crédibilité, où la politique ne parvient plus à inspirer confiance ni espoir.

Dans une démocratie jeune comme celle du Gabon, la légitimité est la pierre angulaire de la stabilité.

Si les élus représentent une minorité de votants, les lois qu’ils adoptent manquent d’adhésion populaire.

La distance entre le peuple et ses représentants devient un fossé. Et dans ce vide s’engouffrent le populisme, la contestation et parfois même la tentation autoritaire.

L’histoire politique mondiale est claire : les démocraties ne meurent pas toujours par la force ; elles meurent souvent par le désintérêt des peuples.

Le combat contre l’abstention n’est pas une bataille de chiffres, mais une bataille de confiance. Il faut redonner au vote sa valeur symbolique, son poids moral, son utilité réelle.

Cela passe par des institutions crédibles et exemplaires ; des campagnes fondées sur les idées, non sur les dons ou la transhumance ; des élus proches du peuple et comptables de leurs actes et une éducation civique continue, pour rappeler que la citoyenneté ne s’arrête pas à l’élection.

Le vrai danger du taux d’abstention, c’est la banalisation du silence. Lorsqu’un peuple cesse de voter, il cesse de choisir. Et quand il ne choisit plus, d’autres choisissent pour lui. L’abstention n’est pas neutre : elle est une démission collective. Notre démocratie ne se renforcera pas par les discours, mais par la participation active de chacun. Car la liberté politique ne se mesure pas seulement au droit de voter, mais à la volonté de s’en servir.

En définitive, le taux d’abstention est le miroir d’une démocratie qui doute d’elle-même. Pourtant, rien n’est perdu. Si chaque citoyen retrouve le sens de son vote, et si chaque élu redonne du sens à son mandat, alors le silence des urnes pourra redevenir la voix du peuple. C’est par la restauration de la transparence, la pédagogie électorale et la sincérité du processus que le Gabon retrouvera le chemin d’une démocratie vivante et responsable. Car au fond, la vraie victoire n’est pas celle d’un parti, mais celle d’un peuple qui croit encore en sa voix.

Par Prime Boungou Oboumadzogo, acteur politique, chercheur en management stratégique, EMBA, Auteur, Essayiste.

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