L’annonce, le 14 octobre 2025, par le ministre de l’Économie, des Finances, de la Dette et des Participations, Henri-Claude Oyima, d’une vaste opération de recouvrement fiscal visant à récupérer plus de 803 milliards de FCFA d’impôts non versés par les entreprises au cours des deux dernières années, constitue en soi un signal de fermeté étatique.
Toutefois, cette initiative, pour louable qu’elle soit sur le plan de la discipline fiscale, soulève une question essentielle de cohérence éthique et budgétaire : un État peut-il légitimement exiger des entreprises qu’elles s’acquittent de leurs dettes fiscales lorsqu’il ne respecte pas, lui-même, ses engagements financiers vis-à-vis de ces mêmes acteurs économiques ?
L’État créancier… mais aussi débiteur

Les chiffres récents du ministère de l’Économie et de la Dette indiquent qu’à fin décembre 2024, la dette intérieure du Gabon s’élevait à 2 773,4 milliards de FCFA, contre environ 2 726,4 milliards en 2023. Ces sommes colossales traduisent l’ampleur des retards de paiement accumulés par l’État envers les entreprises locales dettes de prestations, marchés publics, remboursements de TVA, ou encore arriérés sociaux.
Dans le même temps, l’État exige de ces mêmes entreprises le règlement immédiat de 803 milliards de FCFA d’arriérés fiscaux, soit à peu près le tiers de ce qu’il leur doit en flux budgétaire direct ou indirect. Il en ressort une symétrie des dettes : l’entreprise est débitrice de l’État, mais l’État est, lui aussi, redevable envers ces entreprises.
Une contradiction économique et morale
Cette situation paradoxale soulève un problème de justice financière. En droit budgétaire et fiscal, l’État est censé garantir la confiance et la prévisibilité. Or, la non-liquidation de la dette intérieure, estimée à près de 2 800 milliards de FCFA, fragilise la trésorerie des entreprises et limite leur capacité à honorer leurs obligations fiscales.
Autrement dit, l’État réclame ce qu’il n’a pas lui-même honoré. Comment exiger le paiement de 531 milliards de FCFA d’arriérés pour 2023 et 273 milliards pour 2024, lorsque les opérateurs économiques attendent depuis des années le règlement de leurs créances légitimes ? Cette asymétrie constitue une violation implicite du principe d’équité économique inscrit dans la logique de bonne gouvernance et de responsabilité budgétaire.
La spirale de la défiance et l’effet systémique
En économie publique, le retard de paiement de la dette intérieure crée un effet domino : il affaiblit la trésorerie des entreprises, accroît le chômage technique, retarde le paiement des salaires, et réduit la base taxable elle-même. L’État, croyant augmenter ses recettes à court terme, finit par affaiblir sa propre assiette fiscale à long terme.
De plus, la méfiance s’installe entre les deux acteurs. L’entreprise considère l’État comme un mauvais payeur, tandis que l’État voit l’entreprise comme un mauvais contribuable. Dans cette relation d’interdépendance dysfonctionnelle, chacun devient le débiteur de la mauvaise foi de l’autre.
À qui la faute ? La responsabilité de l’État avant tout
Sur le plan moral comme sur le plan économique, la responsabilité première incombe à l’État. En effet, c’est lui qui fixe les règles du jeu, collecte les impôts, gère le budget, et s’engage dans les contrats publics. L’entreprise, quant à elle, agit dans un cadre défini et contraint. Lorsqu’elle n’est pas payée depuis des mois ou des années, son défaut de paiement fiscal devient moins une faute qu’une conséquence systémique d’une mauvaise gouvernance publique.
Ainsi, avant de réclamer 803 milliards de FCFA d’impôts impayés, le gouvernement aurait gagné en légitimité en annonçant un plan parallèle d’apurement progressif de la dette intérieure, ne serait-ce que sur les 2 773 milliards de FCFA en suspens. Cette approche équilibrée aurait permis d’assainir la relation État-entreprises, en fondant le recouvrement fiscal sur la réciprocité des obligations.
Pour une refondation de la gouvernance budgétaire
Le cas présent révèle un déficit chronique de cohérence entre la politique de recouvrement et la politique de paiement. Tant que l’État n’aura pas instauré un mécanisme de compensation entre dettes réciproques, toute opération de recouvrement fiscal massif sera perçue comme un acte autoritaire, voire arbitraire, et non comme une réforme de justice économique.

L’heure est donc venue de repenser la gouvernance financière sur le triptyque suivant :
Responsabilité budgétaire : l’État doit honorer ses engagements avant d’exiger des autres la rigueur ;
Transparence des comptes publics : publication semestrielle de la dette intérieure réelle et de son plan d’apurement ;
Équité fiscale : les entreprises doivent contribuer, mais dans un cadre où l’État est exemplaire.
En définitive À la lumière des chiffres officiels 803 milliards FCFA d’impôts impayés contre 2 773 milliards FCFA de dettes intérieures, la vérité s’impose : l’État gabonais ne peut réclamer la vertu fiscale sans incarner la probité financière. Dans un contexte de transition où la crédibilité publique est en jeu, la restauration de la confiance entre l’État et les entreprises ne passera ni par la menace, ni par la contrainte, mais par la justice contractuelle et la responsabilité réciproque.
Par Economiste Anonyme