Il y aura un avant et un après 12 avril 2025. Et le Gabon immortel, petit pays d’Afrique centrale, poursuivra son effort vers la félicité et, surtout, ses habitants continueront à vivre ensemble et à se parler. Si nous sommes conscients de cette vérité, nous ne devons pas accepter ce qui s’est passé les 12 et 13 février à Mitzic. Tout comme nous n’aurions pas dû accepter ce qui s’était passé à Okondja, le 23 août 2021, quand on a lapidé le cortège d’Alexandre Barro Chambrier et incendié la maison de Jean-Pierre Lemboumba Lepandou, au motif qu’ils étaient opposants à Ali Bongo Ondimba et au Parti Démocratique Gabonais (PDG).
Ceux qui avaient alors avalisé le déni de la libre circulation à leurs compatriotes dans le Haut-Ogooué ne peuvent, hélas, pas se victimiser aujourd’hui quand l’effet boomerang se produit ou quand le karma les poursuit. ACBBN, pilier d’un régime qui a tiré sur le quartier général de Jean Ping, qui a assassiné Mboulou Béka, qui a séquestré, quatre ans durant, Jean Ping, et lui a interdit tout déplacement, même pour aller se faire soigner, est plutôt mal placé pour crier maintenant aux loups. Par contre, l’épisode de Mitzic pose le problème d’un phénomène qui est en train de gangrener lentement et dangereusement notre société et va constituer le véritable danger de notre vivre-ensemble : l’inflation des plateformes politiques.
Marlène Fabienne Essola Efountame, supporter number one d’Alain Claude Bilie-By-Nze, et soutien de la plateforme Ensemble pour le Gabon, croit avoir vu derrière les excités de Mitzic la main noire de la plateforme Ossimane, qu’elle a accusée, avec pour seule preuve d’avoir reconnu, dans le lot des manifestants, un membre de sa fratrie se réclamant de ce mouvement soutien du Président de la Transition. Un dangereux raccourci que la juriste chevronnée et donneuse de leçons de droit dans les réseaux sociaux a pris pour pointer du doigt un mouvement qui se veut patriotique et qui, malheureusement, risque de se dévoyer.
En effet, présentée comme un laboratoire d’idées pour le développement communautaire du Grand Nord, et promue comme telle à travers d’autres provinces, l’initiative Ossimane, née dans la consanguinité du Président de la Transition, est vite apparue comme un melting-pot aux contours mal définis. Certainement au nom de la plus en plus galvaudée noble idée d’inclusion, on y trouve, côte à côte, des pédégistes bon teint et leurs anciens camarades ayant démissionné ou déserté du « parti des masses », des militants des partis de l’ancienne opposition au PDG, des acteurs de la société civile, voire des notables. Ossimane a même recyclé d’anciens sociétaires de la majorité républicaine et sociale pour l’émergence. Mais on cherche vainement dans les lignes des CV de la plupart de ses membres la maîtrise des notions de termes de référence de projets communautaires, de mise en œuvre de projets, de suivi-évaluation, etc.
Par contre, en première ligne, trônent de nombreux apparatchiks de la vieille classe politique gabonaise, avec un seul mot d’ordre : Oligui candidat. On a même vu un ancien bagnard, responsable d’Ossimane, venir traiter ACBBN de repris de justice. De quoi rouler parterre de rire. On est loin de la pensée originelle d’Ossimane. Cette coalition ressemble plus à une machine de guerre électorale qu’à un think tank. Une confusion de genres qui est désormais utilisée par les anti-Oligui contre Ossimane, surtout quand les responsables de cette plateforme ne condamnent pas systématiquement les mauvais actes supposés être posés en son nom.
Plateforme pour plateforme, alors qu’on n’a pas fini d’appeler à la raison les va-t-en-guerre de Mitzic et d’Oyem, ne voilà-t-il pas qu’une plateforme puante fait son apparition dans l’Ogooué-Maritime. Initiée par un ancien parlementaire de Port-Gentil, une fumeuse « Alliance des Anciens Elus Mériés de l’Ogooué-Maritime » est venue claquer une allumette incendiaire au-dessus des braises d’un feu que les autorités provinciales et communales et les bonnes volontés de la huitième province du Gabon ont su habilement éteindre, il y a quelques jours, suite à des propos tribalistes venus justement de certains Mérié visant les autochtones du département de Bendjè et, plus généralement, les Omyéné. Une boule puante dont on se serait bien passé. Surtout venant de quelqu’un qui a reçu plusieurs mandats issus d’électeurs port-gentillais, sans distinction d’ethnies, de tribus ou de clans. Il dit vouloir « affirmer l’identité Mérié et poser clairement les problèmes spécifiques à la communauté à l’instar de sa marginalisation par le pouvoir central ». Ah bon ? « Il est admis de tous que nous sommes victimes d’une injustice, nous n’avons donc aucun problème avec nos frères et sœurs des autres communautés, nous voulons simplement occuper notre chambre dans la maison du père. C’est de cela qu’il s’agit et de cela seulement », déclare-t-il, péremptoire. Il a fallu attendre la fin de son bavardage nauséabond pour comprendre les réelles motivations de cette sortie : « S’agissant particulièrement de l’élection présidentielle du 12 avril prochain, nous allons d’abord prendre connaissance des projets de société et des programmes de gouvernement des différents candidats, nous discuterons ensuite avec chacun d’entre eux, et en temps opportun, nous aviserons ».
Ainsi, voilà donc le projet d’un quarteron de Mériè et Métié de l’Ogooué-Maritime qui ont la prétention de parler au nom de la communauté Mériè : le chantage au vote ethnique brandi par un autoproclamé leader des Mériè de cette province. Comment compte-t-il faire pour s’approprier le vote de compatriotes qui émargent dans des formations politiques différentes ? Et qui est-il pour prétendre prendre en otage les ressortissants des deux communautés dont il usurpe le leadership ?
Ce qui a surpris plus d’un observateur, c’est la présence, aux côtés de ce sulfureux personnage, des délégués spéciaux de la commune de Port-Gentil et du département de Bendjè de qui on aurait pu attendre, à défaut, un peu de sagesse, au moins, une certaine obligation de réserve. Quelle mouche a bien pu piquer ces compatriotes qui ont eu la confiance du Général Oligui Nguema et du CTRI à afficher au grand jour leur soutien à une nuisible et aventureuse démarche qui n’a en réalité, comme finalité, pour son initiateur, que de chercher le chemin le plus court pour aller soutirer des espèces sonnantes et trébuchantes au Président de la Transition ? Car, pour cet aventurier né avant la honte, la mendicité ne se cache plus. Pour l’ancien employé de Total Gabon, la ficelle a la taille d’un pipeline au milieu d’une plaine clairsemée : aller discuter avec chaque candidat veut dire aller rencontrer Oligui Nguema avec l’espoir de ressortir avec une enveloppe de CFA. Cela se passait ainsi du temps des Bongo ; pourquoi ne pas continuer ? Et dire qu’on a affaire à un homme doublement retraité (Total Gabon et Assemblée Nationale) et donc théoriquement à l’abri du besoin.
Haut-Ogooué, Woleu-Ntem et maintenant Ogooué-Maritime, la floraison des plateformes politiques suscitées par l’Oliguimania commence à interroger. Prôner le vote provincial, tribal ou ethnique a fait et continue de faire des dégâts sous d’autres cieux. Le coup de la libération s’est fait sans effusion de sang. Dans les joutes entre plateformes politiques, le vocabulaire utilisé enregistre déjà des menaces de mort et on parle de sortir les couteaux (n’est-ce pas, Mme Marlène Fabienne Essola Efountame ?). Va-t-on ensanglanter la Transition ?
Le Président Oligui Nguema, qui doit se souvenir qu’il a interdit qu’on utilise son nom à des fins politiciennes, est bien placé, lui qui s’assimile à Josué, pour savoir que si les trompettes avaient détruit les murs de Jéricho, c’était pour une bonne cause, pour que la volonté de Dieu s’accomplisse. Il ne faudrait pas que les trompettes pour louanger le Président de la Transition fassent tomber les murs du vivre ensemble des Gabonais. Et parce qu’il y aura un avant et un après 12 avril 2025, et que le Gabon immortel, petit pays d’Afrique centrale, doit poursuivre son effort vers la félicité et, surtout, ses habitants continuer à vivre ensemble et à se parler, il doit arrêter ça.
Fidèle Afanou Édembé, journaliste à l’Union et chroniqueur libre.
Jean-Jacques Rovaria Djodji
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