Lemanassa : un digne repos éternel pour Joseph Tengue, icone du département de Lekoko

Les cadres du village Lemanassa situé dans le département de Lékoko au sud du Gabon et à 18 km de la frontière avec le Congo-Brazzaville, ont récemment inauguré un mausolée érigé par eux en mémoire de Joseph Tengue, un monument de l’histoire du Gabon notamment durant les premières années de la très longue aventure de l’exploitation du manganèse.

Le nom de Joseph Tengue, né vers 1915 à Lemanassa, reste donc dans la mémoire collective et individuelle d’un village, d’un clan au-delà des frontières étatiques, voir du Gabon.

L’installation du village Lemanassa sur son site actuel est consécutive à la découverte des premiers indices de manganèse de Moanda en 1944 par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Les indices étant promoteurs, la compagnie minière de l’Ogooué, Comilog S.A. est créée en 1953.

En 1953, c’est le début des travaux de construction d’un certain nombre d’infrastructures dont les usines, les ateliers, la route Moanda-M’binda qui va serpenter le téléphérique sur 76 Kms destiné à l’évacuation du manganèse sur Pointe-Noire au Congo avant le chargement des bateaux pour les pays importateurs.

Certains jeunes de ce hameau, entre autres,  Jérôme Mosso, Isidore Maledi, Camille Makamba, Pierre  Mebegha, Jacques Boundou, Gilbert Iyeye, Georges Mouroumbi et Michel Ikamba sont recrutés par la Comilog et,  c’est le dernier cité,  qui est à l’origine de l’implantation actuelle du village.

En effet, Michel Ikamba eu égard à sa connaissance de la région, est engagé au service Prospection. Informé de la construction de la voie ferrée de la Comilog au Congo qui devait partir de Mont Belo pour M’binda, c’est lui qui « met le piquet » au premier vieux village en 1955.

C’est ici que l’Église Évangélique du Sud-Est Gabon, ancêtre de l’Église de l’Alliance Chrétienne et Missionnaire du Gabon, implante, en 1962, la première et unique école de son ordre dans la région comprise entre Moanda et Lékoko et, avec pour premier maître, Amvene Koung Daniel, un Fang qui venait directement de Mitzic en passant par Ndendé et Dolisie. 

L’arrivée de cette église répond à une préoccupation. Devancés dans la région par leurs concurrents traditionnels, les protestants voulaient, par cet acte, s’installer, eux aussi dans la zone d’influence.

Pour preuve, les 97% de la population de ce hameau ont opté pour la nouvelle église et son école a attiré les élèves des villages voisins dont Koumbi, Mipoundi, Mamidi originel et Mandoundji.

Cette année coïncide avec l’érection de la frontière de Lékoko qui s’est déplacée de la rive droite de ce cours d’eau à son emplacement actuel.

Cette barrière, érigée suite au différend Congo-Gabon consécutif à un match de football joué dans le cadre de la coupe des Tropiques, est venue bouleverser à jamais les relations familiales et culturelles non seulement entre les deux pays, mais surtout entre les familles désormais séparées par le fait historique et politique. 

Suite à une réunion des sages, en 1966, une décision collective est prise pour changer de site de village afin de se rapprocher de la zone la plus fertile et où la collectivité rurale de Moanda, pour le compte de Bakoumba, était en train de créer une route devant relier Lemanassa à Dienga.

Ce projet n’est pas allé à son terme du fait que cette route devant longer la frontière Congo-Gabon, pourrait, à terme, provoquer des frictions entre les deux pays, selon M. Mangoumbou qui supervisait les travaux et sur les instructions d’un conseiller français.

Lemanassa est le symbole de la bravoure et de la non soumission d’un village face à la brutalité coloniale. 

En effet, c’est pour avoir refusé de payer l’impôt que l’administration en question en utilisant son bras séculier le chef de Terre, Loba, exterminé vers 1930, la population de Koumou. C’est profitant d’une forte pluie qui provoqua la montée des eaux de la rivière Lekedi que, nuitamment, les miliciens défoncent les portes des maisons en tuant hommes et femmes.

Mais Mayimba, qui reçut un coup de baïonnette au ventre, réussit à s’enfuir en forêt. C’est avec le temps que le village s’est reconstitué et Mayimba, le rescapé, fut surnommé Tihe le mande, ce qui signifie le reste de l’impôt. D’où le nom Lemanassa.

Ce rappel historique est appuyé par un aspect culturel dont le vecteur est un homme : Joseph Tengue.

Joseph Tengue est des clans Ngala de par son père et Ipéna de par sa mère qui est de l’ethnie Tsengi (société de lignée matrilinéaire).

C’est tôt qu’il apprend, aux côtés de ses parents, à attraper la machette (chasse, pêche, travaux champêtres,…). Comme les enfants garçons de son âge (14-17 ans), il passe avec succès l’épreuve de la circoncision.

Sous la protection de son père Lekossa, homme très influent dans le milieu ésotérique, il est initié aux rites du terroir dont le Mengale et le Ngoyi avant le Njobi d’extraction lointaine et moins apprécié.

Marié selon la coutume tsengi à Philomene Mbouachèlè du clan Mesanga, le couple n’a pas eu d’enfants, mais a gardé, protégé et envoyé à l’école neveux, nièces, petites filles et petits-fils dont le Général Marcel Mayimba qu’il prédisait être « commande », c’est-à-dire préfet ou gouverneur.

C’est son père qui, conscient de son rang au sein du clan fondateur du village, le Chundi ou Ipena, et de sa maîtrise de certaines pratiques, l’amène à embrasser le délicat et ingrat domaine de la gestion des hommes.

Discret et très réservé, beaucoup craignaient qu’il puisse conduire la barque dès 1958 quand il succède à Magnangagni.

Mais, c’est à l’épreuve des faits qu’il parvient à faire changer d’avis les sceptiques. Doté d’un caractère solide à toute épreuve, il n’est pas le genre à se laisser emporter par les émotions et les crises. Aussi, parvient-il, à l’épreuve des faits et entourer de certains notables, à régler les différents conflits qui lui étaient soumis.

Mais l’arrivée de l’administration moderne dont la gendarmerie de Lékoko paraît avoir porté un coup à son autorité car, le fait pour lui de satisfaire aux demandes (de vivres en nature tels les moutons, volaille et autres) de cette dernière le faisait passer pour l »homme de l’administration » pour la population devenue de plus en plus frondeuse.

Conscient du poids de la charge depuis la fin des années cinquante et des séquelles de l’intervention chirurgicale qu’il vient de subir à l’hôpital comilog de Bakoumba avec le docteur Eugène Duval, Tengue songe à passer le flambeau.

Entre Michel Ikamba reconnu pour son caractère grincheux, peu enclin à accéder aux différentes sollicitations de l’administration, c’est pour Jérôme Mosso qu’il opte avant de passer l’arme à gauche en 1985. 

Si le décès de Tengue a failli compromettre l’avenir de tout un village, Tengue a marqué la vie des habitants de Lemanassa pendant plus de vingt années. Son nom reste dans la mémoire collective et individuelle d’un village, d’un clan au-delà des frontières étatiques, voire du pays. D’où l’érection  de ce Mausolée. 

Aussi, encouragée par le pragmatisme et le patriotisme du Président de la Transition, Président de la République Chef de l’État, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, la population de Lemanassa sollicite humblement l’inscription de cet édifice, sa modernisation, des aides et son inscription au registre du patrimoine national car il fait partie de notre histoire commune.

Cet aperçu pourrait être approfondi et exploité par les étudiants dans le cadre de leurs recherches universitaires dont l’objectif est de contribuer à la mise en place d’une monographie des villages et des personnages du Gabon.

Lemanassa, situé dans une zone frontière stratégique aux potentialités minières immenses, devrait bénéficier d’un certain nombre de franchises (douanières et en termes d’Emi-Immi ). Il présente tous les atouts pour participer au développement du pays.

Jarele SIKA

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