L’ancien premier Ministre, Raymond Ndong Sima, s’est indigné, dans un post critique sur sa page Facebook, du désastre du système de santé au Gabon, avant de dénoncer avec véhémence, cet état des faits chroniques qui, pour lui, est vraisemblablement entretenu.
Ci-dessous l’intégralité de son indignation.
« Bérézina du secteur public gabonais : la débâcle de la santé.
Le Président s’est félicité de ses succès à l’occasion de son discours à la nation du 16 août dernier. A y regarder de près, les faits le contredisent au quotidien, en tout et pour tout, dans tous les domaines.
Le retour à la case départ (situation avant 2013) de la gestion des situations administratives des agents publics associé :
a) d’une part à l’utilisation de personnels aux revenus aléatoires parce que recrutés mais non intégrés et donc payés sur des caisses noires ;
b) d’autre part à une politisation accrue de l’Administration avec, parfois, des subalternes plus puissants que leurs chefs hiérarchiques et de puissants électrons libres hors hiérarchie.
Tout cela a achevé de dynamiter ce qui restait de la chaîne et des outils de commandement comme les avertissements, les blâmes, ne parlons même pas des conseils de discipline etc. Il s’ensuit que le service public bat de l’aile et sombre corps et biens. On trouve donc pêle-mêle des agents publics encore soucieux du service public et d’autres qui n’en ont cure, si tant est qu’ils en aient eu un jour.
Dans le tout premier domaine qui est la santé, synonyme de vie, le pays compte certes un plus grand nombre de médecins et de techniciens dans différentes spécialités qu’à ses débuts en 1960 ; un plus grand nombre d’hôpitaux mais l’état de délabrement de la gestion des ressources humaines et des équipements renvoie l’image effroyable d’un énorme désastre. Par exemple, livré il y a à peine une dizaine d’années, le CHUL va à vau-l’eau avec des ascenseurs en panne obligeant les malades et leurs parents à emprunter les escaliers, des carreaux qui sonnent creux et vont se détacher à brève échéance, des bâtiments sans eau ou si peu, des peintures qui bavent et des rampes d’escalier délabrées. Au-delà des malfaçons évidentes, l’entretien ne suit pas et les charges récurrentes passent manifestement à la trappe. La situation du CHUO n’est guère meilleure, celle des autres CHU non plus. Allez savoir pourquoi le service du patrimoine de l’Etat ne travaille pas à la préservation de ce qui a déjà été réalisé ?
Des pans essentiels des hôpitaux publics, y compris ceux supposés de référence comme le CHUL, sont défaillants quand ils n’ont pas tout simplement disparu. Le moindre examen, la moindre exploration par imagerie sollicite les cliniques privées puisque, dit-on, les laboratoires des hôpitaux publics manquent de réactifs, que l’entretien des appareils d’imagerie n’a pas suivi et donc que ces machines sont en panne, etc.
Les navettes que les malades ou ceux qui les accompagnent à l’hôpital doivent effectuer entre ces laboratoires, centres d’imagerie et pharmacies absorbent à elles seules tout un budget, et malheur à celui qui n’a personne pour faire ces déplacements. Nombre de parents sont ainsi obligés de veiller à l’entrée de cet hôpital attendant une ordonnance qui pourrait tomber dans la nuit puisque ce dernier n’a plus de pharmacie.
C’est là l’un des nombreux paradoxes de ce désastre. Dès lors que les malades paient cash les analyses des laboratoires, les images des centres d’imagerie et les médicaments des pharmacies privés et au moins le ticket modérateur ; pourquoi les structures publiques dont les prix sont nécessairement plus compétitifs que ceux de ces privés (parce qu’ils supportent des charges fixes et variables comme l’amortissement des bâtiments, les salaires des personnels), pourquoi donc désertent-elles la fourniture de ces prestations ?
L’une des conséquences directes de cette situation c’est la transformation, de fait, des salles de consultation des hôpitaux publics en annexes délocalisées des cliniques privées. Le principal gain que les malades y font encore porte sur l’économie qu’ils réalisent sur le coût de la consultation. Ils sont de toute façon, qu’ils le veuillent ou non, que les médecins le veuillent ou non, orientés vers ces laboratoires et centres d’imagerie privés qui, heureusement pour tous, fonctionnent cahin caha.
La comparaison des sommes inscrites aux budgets annuels de l’Etat avec la situation tant de pénurie que de délabrement des laboratoires, pharmacies et centres d’imagerie des hôpitaux publics est tout simplement abracadantesque. Même le minimum élémentaire de base tel que les gangs, les seringues, l’alcool y fait cruellement défaut et confirme, si besoin en était, l’ampleur du désastre. Les montants inscrits au budget de l’année sont-ils effectivement décaissés dans l’année ? Dans l’affirmative à quoi servent-ils ? Et si non pourquoi ne sont-ils pas décaissés dans l’année ? Fermera-t-on aussi ce ministère comme récemment celui des TP ?
Comment un tel dysfonctionnement a-t-il pu s’installer ? Comment surtout peut-il perdurer ? Lorsque la pandémie de la covid-19 s’est invitée dans notre pays, on a mis sur pied en quelques semaines le laboratoire Gahouma ; preuve, s’il en était besoin, que lorsqu’on veut, on peut. Si donc on a pu le faire pour la covid-19 pourquoi ne peut-on pas le faire pour les besoins d’analyse des autres maladies. Pourquoi ce laboratoire pour lequel d’énormes ressources ont été mobilisées qui est par conséquent, du moins en théorie, bien équipé, ne se voit-il pas confier les fonctions de laboratoire central des hôpitaux publics. Pourquoi, le problème se répétant avec la régularité d’un automate, une équipe de maintenance des installations publiques d’imagerie, n’a toujours pas vu le jour pour assurer le fonctionnement régulier du matériel installé pour faire faire des économies à tous et accroître l’efficacité des hôpitaux publics.
En attendant, la chaîne de prise en charge des malades dans ces hôpitaux est rompue. C’est peu de le dire. Il faut le vivre pour en mesurer l’incidence et le caractère dramatique. Sans les structures privées les médecins du secteur public ne peuvent plus approfondir les investigations nécessaires sur les malades qui se présentent à eux. Ils en sont donc réduits à une complémentarité forcée qui accroît d’autant plus les pressions financières sur la CNAMGS (puisque les privés facturent en tenant compte de leurs marges) que, dans le même temps, les médicaments génériques ne semblent toujours pas à l’ordre du jour dans le pays. Lorsqu’un malade qui gagne 150.000 FCFA reçoit quatre ordonnances en une semaine et que l’une d’elles, contenant des médicaments non couverts par la CNAMGS, s’élève à 70.000 FCFA, lorsqu’il doit faire faire dans la même semaine des analyses de laboratoire et que son ticket modérateur s’élève à 50.000 FCFA comment s’en sort-il ? N’est-il pas directement renvoyé à l’automédication juste pour atténuer sa douleur et tout simplement à une mort discrète ?
La question que suggère ce capharnaüm est finalement la suivante : à quoi tiennent ces dysfonctionnements ? de l’absence de décaissement dans l’année sur laquelle ils portent des budgets votés ; du détournement systématique des budgets décaissés ; de l’incapacité des gestionnaires en place à remplir leur mission ou d’une action délibérée visant à désorganiser le service public. Pourquoi d’ailleurs le principal concerné d’un point de vue financier, en l’occurrence la CNAMGS, ne s’implique-t-il pas avec plus de détermination dans ce qui serait, de toute évidence, une source d’économies significatives à savoir les médicaments génériques, la redynamisation des laboratoires et la remise à niveaux des équipements d’imagerie des hôpitaux publics.
Pour l’instant et dans tous les cas, nous assistons à la bérézina du secteur public en l’occurrence dans le domaine de la santé et ce n’est pas la dissolution du ministère des Travaux Publics qui le démentira.
R. Ndong Sima ».
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