L’Etat a une lourde responsabilité dans la situation actuelle de la CNSS et la CNAMGS (Libre tribune par Odette Jeanine TATY KOUMBA)

Depuis quelques temps, un débat sur la gestion des organismes sociaux CNSS et CNAMGS alimente les médias et les réseaux sociaux : en cause, le refus des médecins des hôpitaux publics de compléter la feuille de soins de la CNAMGS, qui permet à l’assuré salarié du privé ou fonctionnaire de bénéficier d’une prise en charge partielle ou totale des soins dispensés.

Et, pour la CNSS, les retards dans le paiement des salaires des agents en service dans cet organisme d’une part, et d’autre part, des pensions de retraite. Pour un malade particulièrement démuni, l’accès aux soins peut être une question de vie ou de mort et la feuille de soins, un passeport pour l’au-delà ou pour la vie. Pour le retraité, la pension qui constitue un revenu de substitution est pour beaucoup de personnes âgées, le seul rempart face à la précarité. Si ces organismes connaissent des difficultés pour assurer leurs missions, au-delà des problèmes de gestion faisant état de présumés détournements qui ne sont pas à minimiser, l’Etat ne peut se dédouaner de sa responsabilité dans cette affaire qui fait de lui le premier responsable de cette crise.

En tant que puissance publique, l’Etat a le devoir de s’assurer que les organismes qu’il a mis en place, remplissent leur mission de service public et atteignent les objectifs pour lesquels ils ont été créés.  Il suffit de lire les textes réglementaires pour se rendre compte que l’Etat dispose de plusieurs moyens pour remplir cette mission de contrôle de l’activité, du fonctionnement et de l’organisation des organismes sociaux. L’Etat est le garant du bon fonctionnement du système de protection sociale et de cette garantie, il doit veiller à ce que les organismes qui gèrent les prestations, disposent de ressources suffisantes en permanence. Il doit s’assurer du bon usage de ces ressources. Une bonne santé est facteur de développement, l’absentéisme pour cause de maladie constitue autant d’heures de travail perdues, que de causes de retard de développement. Et les pays développés l’ont bien compris, eux pour qui les systèmes de santé et de protection sociale sont au cœur des préoccupations des gouvernants.

La pension de retraite n’est pas une faveur accordée au retraité, elle est le fruit d’une épargne du salarié à travers un prélèvement obligatoire, pour ses vieux jours. Utilisée dans un système de répartition, cette épargne assure le paiement générationnel des pensions.

Pour l’assurance maladie, le fonctionnement de la CNAMGS pose déjà un problème. A sa création, le patronat avait conditionné son accord à la gestion séparée des régimes des agents publics et celui des travailleurs du secteur privé. Pour respecter l’exigence de l’étanchéité des fonds voulue par le patronat, trois directeurs généraux adjoints chargés chacun d’assurer la gestion d’un Fonds totalement indépendant avaient été nommés. Ils devaient être épaulés par trois fondés de pouvoirs assurant une comptabilité séparée. Au fil des ans, cette organisation n’a plus été respectée. Les charges de fonctionnement devaient être financées par chaque Fonds selon une clé de répartition fixée par décret. Ce décret ne figure pas parmi les textes régissant la CNAMGS et on peut se demander s’il a finalement été pris. De même qu’on peut se demander si les mécanismes de gestion séparée des prestations sont effectivement respectés. La question n’est pas sans intérêt dès lors qu’on observe qu’au moment des grèves des praticiens, ce sont tous les assurés de la CNAMGS qui sont pénalisés par les suspensions de fournitures de prestations (soins et médicaments) alors que les assurés du secteur privé ne devraient pas connaître de suspension de prestations, leur Fonds ne présentant pas de déficit. Et la gestion séparée des prestations n’est pas de privilégier le règlement des praticiens ou officines privées au détriment du secteur public, mais de payer les prestations consommées par les assurés en fonction de la situation financière de chaque Fonds. Or, avec deux Fonds constamment déficitaires on peut aussi s’interroger sur quel Fonds sont payées les charges de fonctionnement. Le cas des assurés du Fonds du secteur privé qui subissent les suspensions de prestations au même titre que les autres Fonds déficitaires alimentés par l’Etat est une anomalie révélatrice de ce que le principe de l’étanchéité des Fonds n’est plus respecté, donnant raison au Patronat et aux syndicats du secteur privé qui ne souhaitaient pas dès le départ, que leur assurance maladie soit gérée dans le même organisme que le secteur public.

Les services de l’Etat chargés de reverser les cotisations ont leur part de responsabilité dans la situation actuelle des Caisses. Dans la loi de Finances, les charges sociales de l’Etat sont longtemps apparues comme une subvention, faisant naître une incompréhension sur le caractère obligatoire de leur reversement. Parce qu’en matière de financement de la sécurité sociale, l’Etat intervient d’abord en tant qu’employeur, au même titre qu’un employeur privé. A ce titre, il doit reverser les cotisations de ses agents et de sa part employeur à l’organisme chargé de gérer les prestations sociales. Cette modalité de reversement n’est pas facultative. Elle est obligatoire. Et même si chaque part a un taux déterminé, le paiement des deux parts ne peut être dissocié. Or, pour le cas de la CNAMGS, depuis 2017, l’Etat dissocie le reversement des deux parts de cotisations, en ne reversant que la part salariale prélevée sur les traitements des fonctionnaires. Comme si la part employeur était un don ou une subvention. La part salariale prélevée chez les fonctionnaires est de 2, 5% et celle de l’Etat employeur de 5% de l’ensemble du traitement des fonctionnaires. Le manque à gagner s’élève à plusieurs dizaines de milliards à ce jour. Il est évident que si la CNAMGS ne reçoit pas la totalité des cotisations, le régime des fonctionnaires ne peut fonctionner normalement et ne peut constituer des réserves, nécessaires pour amortir les chocs financiers ou combler les déficits. Ensuite, parce que l’Etat a le devoir de garantir les prestations aux citoyens, il a également le devoir d’intervenir en cas de difficultés d’un organisme. Cette intervention est faite en tant que puissance publique, à travers une subvention, pour maintenir l’équilibre financier d’un organisme au cours d’une année.  La subvention est octroyée en attendant que des mesures soient prises pour rétablir l’équilibre de la Caisse. Elle n’a pas un caractère permanent, à la différence des cotisations. Subvention et charges sociales n’ont pas le même rôle dans le financement de la sécurité sociale et ne peuvent donc être confondues.

On observe ainsi que, chaque fois que l’Etat est en difficulté, c’est le règlement des cotisations sociales qui est sacrifié en premier, alors que ce devrait être le contraire parce que les prestations sociales ont aussi pour rôle d’être le filet social qui amortit les effets de la crise, en recyclant les sommes perçues par les assurés dans l’économie. En dehors de la CNAMGS, où l’on parle de près de 70 milliards, l’Etat a une créance de 85 milliards envers la CNSS, relative au paiement des cotisations de ses agents assurés dans cet organisme. Dans une déclaration publique en date de ce vendredi 10 juin, le ministre de la Santé et des Affaires sociales a annoncé que la CNSS était en cessation de paiements. Dans cette faillite, à la lumière de graves carences évoquées plus haut, peut-on raisonnablement dédouaner l’Etat et les gouvernants ? La Caisse des Pensions et des Prestations Familiales des Agents de l’Etat, pourtant issue des services du Trésor Public, n’est pas épargnée par ceux qui décident des priorités des règlements de l’Etat. Des assurés meurent sans avoir touché leurs pensions alors que tous les régimes de pension fixent le service de la pension dès le premier jour du mois qui suit celui de la cessation d’activité. C’est dire qu’au-delà des problèmes de management, l’Etat a une lourde responsabilité dans la situation actuelle de ces organismes sociaux. Et ce ne sont pas les simples changements à leur tête qui régleront le problème récurrent des défaillances de l’Etat.

Odette Jeanine TATY KOUMBA, Juriste sociale, ancien DGA de la CNAMGS (2007-2009)

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