La très longue attente du nouveau gouvernement et des nouveaux hauts cadres de l’administration, censés incarner l’espoir vers la félicité tant rêvée par les gabonais, se transforme peu à peu en une véritable guerre fratricide. Une canonnade verbale et politique, dont l’objectif semble moins la construction de la Ve République que la destruction systématique de personnalités jugées encombrantes, pressenties à des fonctions clés ou simplement dotées d’un profil jugé utile pour l’avenir du pays.
Dans cette bataille sans règles, le débat public est ramené au bas de la ceinture. Il ne s’agit plus de confronter des idées, encore moins de proposer des projets ou des visions pour la nation. Le champ de bataille est occupé par les invectives, les accusations gratuites, les injures publiques et le dénigrement méthodique. Tout y passe. L’essentiel n’est plus de convaincre, mais d’anéantir. Détruire plutôt que construire est devenu le mot d’ordre implicite.
Cette dérive pose une question fondamentale : à qui profite réellement cette bérézina ? Certainement pas à la République, qui se retrouve exposée, affaiblie, presque déculottée sur la place publique.
L’on se réjouit parfois de voir tomber tel ou tel nom sous les coups de la vindicte populaire, comme si cela constituait une victoire politique ou morale. Mais à force de vouloir trop faire plaisir au président de la République, on finit par le fragiliser lui-même. Car les personnalités ainsi livrées en pâture ne sont pas des adversaires lointains : ce sont, pour beaucoup, des collaborateurs réels ou potentiels du chef de l’État.
Brice Clotaire Oligui Nguéma, appelé à incarner la rupture et le rassemblement, se retrouve ainsi face à un paradoxe redoutable. Peut-il diriger le pays dans un contexte d’apaisement et poser les fondations solides de la Ve République ? Peut-il éviter le piège d’un règlement de comptes permanents ? Peut-il bâtir une équipe crédible lorsque chaque nom évoqué devient aussitôt la cible d’une campagne de démolition ?
La responsabilité est collective, mais elle est aussi éminemment politique. Le président de la République devra, tôt ou tard, rappeler les lignes rouges : réhabiliter le débat d’idées, protéger l’honneur des institutions et exiger que la critique, légitime dans une démocratie, ne se transforme pas en lynchage public. Sans cela, la Ve République risque de se noyer dans un vacarme stérile, où la suspicion remplace la compétence et où la haine tient lieu de programme.
La question demeure donc entière : Oligui Nguéma pourra-t-il stopper la bérézina avant qu’elle n’emporte non seulement des hommes et des femmes, mais aussi l’espoir placé dans la Ve République ? Le temps presse. Il est temps de sortir des intérims pour mettre en place l’administrations dessinée par le peuple dans les urnes.
Camille Boussoughou

