Dans une récente publication dans la revue scientifique ‘’The Conversation’’, le Professeur Serge Loungou*, dont les travaux de recherche portent essentiellement sur les problématiques géopolitiques en Afrique centrale, analyse les perspectives de transition politique qui se dessinent au Cameroun, au Congo et en Guinée Équatoriale, et évalue les risques de déstabilisation que les guerres de succession font peser sur eux et leur voisinage. Au regard de l’extrême longévité au pouvoir et de l’âge “canonique” de leurs chefs d’État respectifs, dans un archétype du gouvernement perpétuel endurci parvenu en fin de cycle, l’enseignant de géographie politique à l’Université Omar Bongo (UOB) de Libreville croit y déceler « un contexte de fin de règne, caractérisé par l’exacerbation des rivalités successorales autour du pouvoir présidentiel. Alimentées par d’irréductibles oppositions au sein des clans présidentiels, ces “guerres” de succession sont porteuses de germes susceptibles d’entraîner les trois pays dans une instabilité sociale et politique durable », qui ne resterait pas selon lui sans conséquences sur la stabilité régionale, selon lui. Synthèse !

Dans son exposé des faits, Pr Serge Loungou souligne que la longévité au pouvoir, des trois chefs d’Etat : Téodoro Obiang Nguéma (82 ans, dont 45 au pouvoir), Paul Biya du Cameroun (91 ans, dont 42 au pouvoir) et Denis Sassou Nguesso du Congo (79 ans, dont 40 cumulés au pouvoir) s’expliquerait en théorie par l’absence de restriction constitutionnelle concernant l’âge-plafond du président et la durée de son mandat.
En pratique, elle découlerait selon lui, d’une tendance enracinée à la patrimonialisation du pouvoir, devenu ‘’crépusculaire’’, caractérisé notamment par : des absences fréquentes et de plus en plus prolongées du chef de l’État pour raison de santé; une dissonance, voire une discordance, entre les cercles de décision au sein des clans au pouvoir; l’exacerbation des luttes d’influence à l’intérieur des familles politique et naturelle du président; la multiplication dans le camp présidentiel des velléités d’accession à la magistrature suprême et la distanciation manifeste à l’égard des préoccupations minimales du peuple.
L’universitaire, s’appuyant sur des observations faites par de nombreux analystes et éditorialistes, relève également que les régimes en place en Guinée équatoriale et au Congo notamment, nourrissent des velléités de dévolution du pouvoir de type dynastique. Leurs soupçons se fondent sur un fait patent dans les deux pays : l’influence politique notoire exercée par l’importante progéniture présidentielle, fait-il savoir.
Rivalité fratricide larvée en Guinée équatoriale
Tout incline à penser que le successeur de Téodoro Obiang Nguéma Mbasogo sera un membre de son clan, mais il reste à savoir qui parviendra à s’imposer. Sera-ce Téodorin Nguéma Obiang, le fils aîné, plus connu pour ses frasques dépensières que pour ses capacités d’homme d’État ?
Son élévation à des fonctions stratégiques (vice-président de la République, numéro 2 du parti), en plus du soutien ostentatoire que lui manifeste la première dame, sa mère, apparaît comme le signe de son irrésistible ascension vers le sommet de l’État.
Mais le choix final du clan pourrait aussi se porter sur Gabriel Mbéga Obiang Lima, le benjamin, né d’une mère originaire de Sao Tomé et Principe. Plusieurs fois ministre, il occupe actuellement le portefeuille des Mines et du Pétrole. Son “sérieux” lui vaut d’être considéré comme le favori des investisseurs chinois et occidentaux, très influents dans le pays.
Conflit successoral au Congo-Brazzaville
La succession héréditaire paraît plus complexe au Congo. La première raison en est liée aux dissensions ouvertes au sein même de la famille naturelle du président Denis Sassou Nguesso. Ainsi prête-t-on des ambitions présidentielles à Denis Christel Sassou Nguesso, son fils né d’une mère originaire de la RD Congo.
Face à ce ministre et député, parrain de plusieurs organisations non gouvernementales locales, se dresseraient deux de ses cousins : Jean-Dominique Okémba, patron des renseignements, et Edgard Nguesso, officier supérieur des forces armées et directeur du patrimoine présidentiel. Les séquelles de l’histoire politique tourmentée du pays sont une raison supplémentaire d’appréhender la transition à venir au sommet de l’État.
Polarisée par le clivage ethno-politique Nord-Sud, cette histoire est jalonnée d’épisodes tragiques qui ont fini par installer des rancoeurs manifestes entre les communautés locales, à tout le moins entre leurs élites. À commencer par celles du Nord, bastion traditionnel du régime, au sein desquelles les dissensions politiques apparaissent désormais marquées.
En effet, en recentrant son régime essentiellement sur les membres de son ethnie (Mbochis), au lendemain de sa reconquête du pouvoir par des moyens militaires en 1997, Denis Sassou Nguesso semble s’être aliéné une partie des autres ressortissants de sa région d’origine (Kouyou, Makoua,Téké) dont les récriminations à l’égard du clan présidentiel n’ont eu de cesse de croître.
On peut parier que ces élites nordistes, qui se sentent peu ou prou marginalisées, s’opposeront au projet de dévolution dynastique du pouvoir que l’on prête au président.

Au Sud, où les affres de la guerre civile (1997-2001) ont exacerbé la méfiance légendaire des membres du groupe ethnique Kongo-Lari à l’égard du “régime des nordistes”, la perspective d’une succession dynastique est susceptible de réveiller les “vieux démons”.
Au Cameroun, énigme sur fond de tensions intercommunautaires
Le contexte camerounais paraît peu se prêter à un scénario successoral de type héréditaire. La raison principale en est liée, manifestement, aux règles de gouvernance que le président Paul Biya est parvenu à imposer : tenir sa progéniture éloignée de la sphère politique (État, parti) et demeurer le “maître de l’échiquier”. Il a ainsi annihilé toute velléité de rivalité ou de concurrence politique dans son propre camp. Toutefois, le bilan successoral du “Sphinx” est loin de présenter les garanties d’une transition politique sereine.
Deux sources de difficultés sont perceptibles : l’absence de dauphin officiel au sein du parti présidentiel et l’incertitude qui entoure les modalités de désignation de son candidat en cas de scrutin pour l’élection du nouveau chef de l’État. L’absence de consensus fort ne pourrait qu’entraîner la démultiplication des héritiers putatifs.
Ce qui sèmerait les germes d’une conflagration successorale au sein du camp présidentiel. On peut craindre que ces luttes intra-partisanes pour le pouvoir s’alimentent des fractures identitaires existantes voire les exacerbent. La rivalité entre les communautés Bulu-Béti (Sud) et Bamiléké (Ouest) représente le summum des tensions intercommunautaires qui menacent la stabilité du pays.
Préserver l’intégrité et les intérêts du clan présidentiel après la disparition du chef de l’État
Le souvenir de la déshérence vécue par d’anciennes familles régnantes dans la région (Jean Bédel Bokassa, Mobutu Sésé Seko, José Eduardo Dos Santos, Omar Bongo) ainsi que la crainte des règlements de comptes politiques et judiciaires alimenteraient ce désir de transmission du pouvoir de père à fils, rappelle Pr Loungou.
Or, souligne l’universitaire, les clans présidentiels ne constituent pas des structures sociales homogènes. Ils forment un système complexe d’alliances et de réseaux d’intérêts organisés à l’intérieur de cercles gravitant autour du chef de l’État.
Au fur et à mesure que l’autorité du patriarche paraît s’éroder à l’épreuve du temps ou de la maladie, l’unité de ces clans composites se trouve mise à mal par des logiques centrifuges.
Ces luttes de positionnement politique opposant les membres du cercle présidentiel, notamment les enfants du chef de l’État nés de plusieurs lits ; des querelles autour des monopoles économiques et autres rentes de situation ; la multiplication des complots attribués aux personnalités issus du sérail présidentiel ; la disgrâce, voire la répression, des “traitres” au pouvoir et de leurs proches, etc., sont autant d’ingrédients qui laissent présager des successions à risques dans les trois pays, prévient le Pr Serge Loungou.
Féeodora Madiba
*Pr Serge Loungou est Maître de conférences en géographie politique, enseignant à l’Université Omar Bongo de Libreville et Directeur exécutif du Centre d’études et de recherche en géosciences politiques et perspectives (CERGEP)
NDLR : Le titre et le dernier inter-titre sont de la rédaction

