Le 7 septembre dernier, il y a un peu plus de deux mois, l’ancien opposant Raymond Ndong Sima a été nommé Premier ministre de la transition. Deux jours après sa nomination à la primature, il a formé son gouvernement. Deux mois après, le journaliste Eric Topona revient sur les enjeux de la Transition en vue de la refondation du Gabon.
C’était le scénario improbable des élections générales du 26 août 2023 dont le point d’orgue fut la présidentielle, qui se tenait en même temps que les scrutins municipaux et législatifs. Cette présidentielle aura cristallisé toutes les attentes et toutes les énergies, tant et si bien que, pour garantir la sincérité du vote en faveur de leur candidat Albert Ondo Ossa, la plateforme Alternance 2023 a fait l’impasse sur les élections locales et législatives. Car, à l’instar de la quasi-totalité des pays d’Afrique anciennement sous colonisation française, l’institution présidentielle est la clé de voûte du pouvoir d’État, héritage lointain du système jacobin encore en vigueur dans l’ancienne métropole.
Nul, hormis ceux-là qui étaient dans le secret des dieux, ne s’imaginait que l’histoire politique du Gabon était un jeu à trois acteurs principaux, dont le moins attendu viendrait s’imposer comme le juge de paix, à savoir l’armée, ou plutôt la Garde républicaine (GR), avec, à leur tête, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, le patron de cette unité militaire d’élite chargée de la protection du président de la République.
Train de réformes
Depuis son accession à la magistrature suprême, le président de la Transition et le comité qu’il préside ont initié un train de réformes qui donnent l’impression d’une partition réglée comme sur du papier à musique.
C’est d’abord sur le terrain de l’affermissement de l’autorité de l’État et du renforcement des institutions que les Gabonais nourrissent les attentes les plus fortes. Durant plus de cinq décennies d’un pouvoir dynastique et patrimonial, l’État gabonais s’est affranchi des principes d’une gouvernance moderne. Construit autour d’un clan familial qui en était le centre de gravité et à partir duquel était pensé et régi l’ordonnancement des pouvoirs publics, la distribution des récompenses, des allégeances comme des disgrâces, a laissé sur le bord du chemin de nombreux Gabonais, dans ce pays aux richesses immenses qui est aussi l’un des pays les moins densément peuplés au monde. Le président de la Transition l’a si bien compris que les premières mesures fortes qu’il a prises, au lendemain de son entrée en fonction, concernent la moralisation de la vie publique.
Mais, sur ce terrain tout aussi sensible que délicat, il faut dire qu’il en faudra bien plus pour donner au citoyen ordinaire le sentiment d’une égalité devant la loi et d’un fonctionnement impartial et républicain des institutions.
En effet, au lendemain de son entrée en fonction, le Comité de Transition pour la restauration des institutions, après avoir dissous les institutions régaliennes au soir du 30 août 2023, a procédé à la nomination par décret des membres des chambres haute et basse du Parlement, après la formation du nouveau gouvernement, et s’est attribué de fait les pleins pouvoirs.
On peut y voir, comparaison n’étant pas raison, une sorte de « despotisme éclairé », comme on l’a connu dans l’Allemagne de Bismarck et certaines monarchies de l’Europe des Lumières, ou dans le Japon de l’ère Meiji, en raison du fonctionnement défectueux des institutions sous les précédents régimes.
Thérapie collective
Le plus difficile, durant les prochains mois, sera de faire passer l’État de cette forme de séquestre et de mise sous administration provisoire vers une machine dont les mécanismes de fonctionnement, parce que rendus impersonnels et impartiaux, seront la traduction en actes de ce contrat social dont le nouveau chef de l’État a tracé les grandes lignes dans son discours d’investiture, début septembre, à Libreville. Sa référence, à cette occasion, aux propos testamentaires de son prédécesseur, Omar Bongo Ondimba, au sujet des ratés de gestion durant ses 42 ans de règne, a résonné, ce jour, comme une exhortation à une thérapie collective pour qu’advienne enfin au Gabon des institutions fortes.
Néanmoins, il reste à présent une inconnue et une échéance décisive, c’est le Grand Dialogue national annoncé pour le premier semestre de l’année 2024. Si, d’ores et déjà, Raymond Ndong Sima, le Premier ministre de la Transition a lancé des appels à contributions à l’endroit de tous les Gabonais, à l’image des cahiers de doléances des États généraux consécutifs à la Révolution française de 1789, il n’en demeure pas moins que le Gabon a connu par le passé des concertations du genre, suivies de résolutions volontaristes. Qu’il s’agisse des « accords de Paris » sous Omar Bongo Ondimba, consécutifs aux graves secousses socio-politiques qui auront fait vaciller son pouvoir en 1992, ou des dialogues nationaux successifs d’Ali Bongo Ondimba de 2007 et de 2023, les consensus décidés dans les hémicycles ou actés par les gouvernements d’ouverture qui les ont suivis n’ont guère apporté de changements véritables dans le quotidien de nombreux Gabonais et dans la gouvernance locale.
À titre d’illustration, la dernière concertation nationale, tenue quelques semaines seulement avant les élections générales du 26 août 2023, avait à peine connu son épilogue que le pouvoir en place a pris des mesures telles que l’instauration du bulletin unique, l’interdiction des observateurs internationaux et des médias internationaux, l’instauration post-électorale d’un couvre-feu, décisions qui dénotent d’une absence de transparence, d’une opacité sanctuarisée autour d’un scrutin dont les dés apparaissent pipés d’avance.
Le test de crédibilité majeur pour le Comité de Transition pour la restauration des institutions (CTRI) ne sera pas tant de « restaurer » des institutions qui, en réalité, n’ont jamais fonctionné selon les canons d’une République depuis l’accession du Gabon à l’indépendance le 17 août 1960. Il s’agira en réalité d’en instaurer de nouvelles, à partir du nouveau contrat social issu des prochaines assises nationales.
Démocratie participative
L’un des enjeux majeurs, et non des moindres, des prochains mois sera l’instauration d’une démocratie véritablement participative. À l’inverse de nombreux États africains, le Gabon jouit de ce privilège naturel d’avoir une assiette démographique extrêmement réduite au regard de la superficie de son territoire. La naissance d’une nouvelle République devrait être l’occasion d’impliquer autant que faire se peut les Gabonais de la diaspora dans la gestion des affaires du pays, et au sein de laquelle existent des ressources humaines de grande qualité. À cet égard, la composition du gouvernement de Transition laisse apparaître des signaux encourageants dans ce sens.
Dans la même perspective, les politiques publiques à venir devront réfléchir aux voies et moyens de décongestionner les grands centres urbains, qui étouffent du fait d’une urbanisation anarchique, en investissant l’arrière-pays dont les immenses ressources naturelles mises en valeur contribueraient de manière substantielle à la prospérité nationale.
L’implémentation de toutes ces réformes sera à n’en pas douter une œuvre de longue haleine. Mais le CTRI, fort du choc de confiance suscité dans le pays depuis sa prise de pouvoir et de sa volonté affichée de rassembler les Gabonais, a l’opportunité inédite d’écrire cette nouvelle page de l’histoire de ce pays.
Éric Topona, journaliste