Tout ou presque est dit sur la crise actuelle au niveau du barreau national du Gabon. Et les divisions n’échappent à personne, en particulier sur la vacance au poste de bâtonnier après l’annulation par le Conseil d’État de l’élection du successeur de Me Lubin Ntoutoume.
Si certains vont jusqu’à parler de « laxisme » de la ministre de la Justice, d’autres jugent que « rien ne fait obligation à Antonella Ndembet-Damas de constater la vacance du poste de bâtonnier ». D’ailleurs, fine juriste, elle n’est pas tombée à pieds joints dans le piège que lui aurait tendu le bâtonnier déchu.
Ce dernier lui aurait écrit pour demander de constater la vacance du poste de bâtonnier, tout en suggérant que ce soit Me Lubin Ntoutoume qui organise les élections pour élire le bâtonnier intérimaire, en s’appuyant sur l’article 66 de la loi qui régit la profession d’avocat. Cet article dispose qu’en cas de vacance du bâtonnier dûment constatée par le Conseil de l’Ordre des avocats ou par le ministre chargé de la Justice, un bâtonnier intérimaire est élu dans le mois qui suit la constatation de la vacance.
Que faut-il comprendre ? Selon des professionnels du droit, ce texte signifie qu’il y a un bâtonnier élu dont l’élection n’est pas contestée et que, à mi-chemin de son mandat, celui-ci décède ou est absent pendant une longue durée mais l’on sait qu’il ne reviendra pas.
Dans ces conditions, le Conseil de l’Ordre ou le ministre de la Justice constate la vacance. Or, dans le cas d’espèce, l’élection du bâtonnier et celle des membres du Conseil de l’Ordre a été annulée. Il revient donc au Conseil d’État de désigner un bâtonnier intérimaire.
Et, contrairement à ce qui se dit ici et là, le Conseil d’État ne s’est jamais déclaré incompétent pour désigner un bâtonnier intérimaire. Les avocats, qui ont obtenu l’annulation de l’élection du 6 janvier 2023, avaient saisi le premier président de cette juridiction pour désigner le bâtonnier intérimaire. L’autorité judiciaire saisie s’est déclarée incompétente parce qu’elle ne pouvait pas statuer seulement sur cette demande.
Il faut dire que l’ordonnance rendue par le premier président du Conseil d’État n’a pas fait un revirement de jurisprudence. Mieux, une ordonnance ne peut pas être supérieure à un arrêt.
Le vide juridique de l’article 66 de la loi sur la profession d’avocat a été réglé par un arrêt du 6 juin 2018, apprend-on de sources concordantes. Dès lors le Conseil d’État s’est déclaré compétent. «D’ailleurs, chaque fois que la loi est muette sur les questions du barreau, c’est le Conseil d’État qui a toujours été saisie», assure un juriste chevronné.
Aussi, face au silence de la loi, Me Lubin Ntoutoume avait-il saisi le Conseil d’État pour proroger son mandat pour des raisons sanitaires dues au Covid-19 et, ce, deux fois de suite. Pour mémoire, Me Issialh, qui avait été désigné un bâtonnier intérimaire en 2018, avait également saisi le même Conseil d’État pour demander la prorogation de son intérim parce qu’il n’avait pas pu vérifier toutes les cotisations.
Au demeurant, la ministre de la Justice ne peut pas constater la vacance du poste de bâtonnier. Car, si elle venait à la faire, à qui va-t-elle s’adresser ?
D’aucuns soutiennent donc que «cette question ne relève que de la juridiction du Conseil d’État». Aussi, faut-il retenir que le bâtonnier intérimaire évoqué à l’article 66 de la loi sur les avocats termine le mandat en principe de celui qui est décédé ou absent. C’est pourquoi celui-là est élu.
Daniel Etienne, intellectuel amoureux du droit