Tourisme : 200.000 emplois à horizon 2030 (Tribune libre par Thérence Gnembou Moutsona)

Avec un chômage galopant et une économie à bout de souffle, le Gabon a urgence à se réinventer. De fait, l’économie gabonaise est aujourd’hui une économie de rente, sans assise pérenne, tributaire de ressources naturelles dont les réserves tendent à s’épuiser.

Hydrocarbures, manganèse et bois comptent aujourd’hui pour près de 40% du PIB. Le secteur pétrolier à lui seul représente le tiers du PIB, 71% des exportations et 35% des recettes fiscales. Une dépendance problématique sachant que la production pétrolière gabonaise, reposant sur des champs matures, donne des signes de déclin avec une baisse de production annuelle moyenne de l’ordre de 4% depuis 2014. L’écart de production entre 2020 et 2030 est estimé à 50 à 100.000 barils par jour. En l’absence de découvertes pétrolières majeures récentes, l’horizon de l’industrie pétrolière comme moteur de la croissance gabonaise se limite donc à une dizaine d’années au plus. Une situation d’autant plus préoccupante que l’économie gabonaise est par ailleurs atone, avec une croissance annuelle du PIB de 1,1% seulement en moyenne entre 2015 et 2018.

Dans ce contexte, il nous incombe de repenser le modèle économique gabonais, d’assurer sa pérennité via sa diversification, d’imaginer de nouveaux axes de développement. Il en est un que nous devons considérer avec particulièrement d’intérêt s’agissant d’une voie en parfaite cohérence avec les atouts du Gabon et qui pourrait radicalement changer la donne économique du pays : il s’agit de l’industrie touristique, qui est aujourd’hui à l’honneur en cette Journée mondiale du tourisme, et qui pourrait très naturellement constituer un levier majeur de développement économique de l’après-pétrole.

La part du Gabon dans le tourisme mondial est à ce jour insignifiante au regard de sa dimension géographique et de ses richesses naturelles et culturelles. Le pays n’accueille aujourd’hui que 100.000 touristes par an, et encore une majorité d’entre eux sont-ils des voyageurs d’affaires ou affinitaires – le nombre de touristes internationaux d’agrément reste quant à lui particulièrement faible. Moyennant quoi, l’industrie touristique gabonaise représente, d’après les données 2009 du Compte Satellite du Tourisme (CST), seulement 1,8 % du PIB et à peine plus de 12.000 emplois.

Le potentiel de croissance est donc énorme au vu des atouts touristiques du pays. Le Gabon pourrait tout particulièrement constituer une destination de choix pour l’écotourisme. Au cœur du Bassin du Congo, deuxième poumon de la planète, le Gabon est recouvert à 80% de forêts équatoriales. Le pays possède un écosystème particulièrement préservé, au point d’être considéré comme le « dernier paradis » sauvage de la planète. Ses 13 parcs nationaux, couvrant 3 millions d’hectares, soit plus de 11% du territoire, constituent un formidable réservoir de biodiversité. La faune et la flore y sont parmi les plus diversifiées au monde avec des espèces animales emblématiques comme le gorille à dos argenté, les tortues luths ou les éléphants et plus de 7.000 espèces végétales. Le tourisme balnéaire, également, pourrait être considérablement développé, avec pas moins de 800 km de côtes, et un domaine maritime estimé à 265.000 km². Le tourisme culturel a lui aussi une belle carte à jouer moyennant un patrimoine riche et diversifié avec une soixantaine de groupes ethniques, chacun avec ses coutumes propres, ses croyances, ses rites… : un formidable terrain pour des voyages d’agrément.

Eléphant prenant un bain dans le parc national de l’Ivindo dans le nord est du Gabon © ANPN

Le Gabon présente donc résolument tous les atouts pour se positionner en destination touristique de choix, à l’instar d’autres pays du Sud qui ont su développer une politique volontariste en la matière, soutenue par des investissements conséquents. C’est le cas par exemple du Rwanda, un pays dix fois plus petit que le Gabon, qui pourtant a accueilli plus d’un million de touristes en 2017, générant près de 40 millions de dollars de revenu d’après l’OMT ; ce succès est notamment le fruit d’investissements ciblés dans la modernisation de ses infrastructures de transport, hôtelières et de télécommunications. L’île Maurice, également, a mené une politique proactive en la matière ; résultat : le pays reçoit 13 fois plus de touristes sur un territoire cent fois plus petit que le Gabon ! Plus éloigné géographiquement, mais avec un profil sensiblement comparable au Gabon en termes de biodiversité et de littoral, le Costa Rica offre également un formidable exemple de réussite dans le domaine de l’écotourisme : avec une superficie cinq fois moindre que le Gabon, le pays a vu sa fréquentation touristique augmenter de 900.000 touristes en neuf ans. Autant d’exemples qui doivent nous inspirer et légitiment notre ambition de faire du tourisme un fer de lance de notre développement économique.

Moyennant son potentiel, et par comparaison avec d’autres pays dotés d’un environnement similaire, le Gabon doit viser 750.000 touristes supplémentaires en dix ans

L’enjeu est de taille sachant que l’industrie du tourisme est une activité fortement génératrice d’emplois, directs comme indirects : un emploi direct dans le tourisme se traduit par 1,5 emploi indirect dans les secteurs connexes : hôtellerie, restauration, transports, commerce, culture, artisanat… L’ambition de 75.000 emplois directs et 125.000 indirects, soit un total de 200.000 emplois créés sur 10 ans, divisant le taux de chômage par deux, avec une contribution au PIB de l’ordre de 7 à 10 % contre 0,2 aujourd’hui, est parfaitement raisonnable et atteignable. Dès lors, le secteur du tourisme pourrait contribuer à une croissance significative de l’économie et l’emploi au Gabon, croissance qui présenterait l’avantage d’être inclusive, concernant tout le territoire, de nombreux secteurs et des profils variés.

Des hippopotames sur la plage dans le parc national de Loango © ANPN

Ainsi le développement du tourisme bénéficierait-il à l’ensemble du territoire, y compris des régions reculées, à l’intérieur des terres. Le tourisme est un réel vecteur de dynamisation des activités économiques locales, auxquelles il fournit de nouveaux débouchés, particulièrement dans le cadre d’un tourisme responsable valorisant le consommer local. Le tourisme présente également l’avantage de favoriser le développement de secteurs multiples : hôtellerie, transport, restauration évidemment, mais également commerce, artisanat, agriculture… Enfin, l’industrie touristique fournit des opportunités à des profils variés : hommes et femmes, jeunes et seniors, profils plus ou moins qualifiés.

Certes ambitieuse mais néanmoins réaliste, cette vision suppose une volonté forte au sommet de l’Etat, soutenue par une bonne gouvernance et des investissements conséquents.

Le défi est avant tout infrastructurel : des moyens conséquents doivent être déployés pour pouvoir accueillir les touristes dans de bonnes conditions. Les systèmes de transport sont aujourd’hui nettement insuffisants. La cherté des billets d’avion constitue un frein évident. Localement, faute de routes praticables et de chemins de fer, l’accès à de nombreux sites est quasiment impossible. Le déficit de structures d’accueil est également problématique : le Gabon dispose d’environ 5.000 chambres, mais dont près de la moitié est concentrée sur la capitale. Moyennant quoi, la capacité d’accueil sur les sites touristiques est quasi nulle. Plus généralement, les infrastructures de soutien nécessaires pour assurer le confort des touristes, telles que l’assainissement, l’approvisionnement en eau potable et en électricité ou les télécommunications, font défaut. Le développement de ces infrastructures de base indispensables à l’attrait touristique du pays passera par des investissements publics stratégiques mais devra s’appuyer également sur un encouragement à l’initiative privée : partenariats public-privé, facilitation de l’accès au crédit, fiscalité incitative, soutien à l’entrepreneuriat local seront notamment nécessaires.

 Autre priorité de taille pour développer l’industrie du tourisme : la formation. Les métiers du tourisme sont en effet avant tout des métiers de service. Le Gabon manque à ce jour de main d’œuvre qualifiée dans ce domaine. Développer les savoir-faire dans les métiers du tourisme et de l’hôtellerie, mais aussi dans les secteurs connexes comme l’environnement, est donc primordial, et nécessite la création de centres de formation professionnelle et le développement de partenariats avec des écoles internationales.

Une fois ces bases posées, un important travail devra enfin être effectué en vue de promouvoir l’attractivité du pays et son ouverture au monde. Un objectif qui passe par un effort de communication pour valoriser à l’international l’image du Gabon comme destination touristique de choix et son identité spécifique, mais aussi par des mesures diverses visant à corriger l’image négative dont souffre le pays vis-à-vis de l’extérieur, comme faciliter l’obtention des visas d’entrée sur le territoire et rassurer sur la stabilité du pays.

Forêt équatoriale gabonaise © ANPN

Bien sûr, la clé de ces différents chantiers consistera en une gouvernance mieux organisée, incluant la définition d’une stratégie nationale du tourisme claire, une restructuration organisationnelle du secteur, une politique d’encadrement de l’exploitation touristique grâce à une meilleure collaboration avec le secteur privé ainsi qu’une stratégie responsable et durable en matière de protection et préservation des ressources naturelles et culturelles.

Cette voie est exigeante mais néanmoins réaliste pour autant que nous fassions le choix de nous en donner les moyens. Nous avons la chance d’habiter l’un des plus beaux pays au monde, nous avons la possibilité de transformer l’attachement et la fierté que nous lui portons en accélérateur du développement économique, social et culturel du pays : ne manquons pas cette opportunité !

Thérence Gnembou Moutsona est Président du Parti du Réveil Citoyen (PRC)

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