L’élimination du covid 19 : le prix de la stabilisation de l’économie gabonaise (Libre Tribune)

Le corps économique mondial est actuellement étouffé par le covid 19. Au rang des organes endommagés, se trouvent principalement les économies en développement. Je pense que pour redonner du souffle à ces économies, notamment la stabilisation macroéconomique, il faut éliminer le virus covid 19. Pourquoi et comment s’y prendre ? C’est l’objet de ce billet.

Alors que l’attaque du covid 19 réduit à la fois les capacités de demande et d’offre des économiesi en général, le protocole de riposte privilégié semble être la politique budgétaireii via un énorme soutien financier à la demande globale. Même si l’efficacité d’une telle thérapie reste conditionnée par une viabilité des situations budgétaires initiales des pays concernés.

En dépit des contraintes, la politique budgétaire s’impose aujourd’hui parce qu’elle s’est souvent montrée efficace contre les crises en général, mais également du fait que l’agression du covid 19 se passe à un moment où l’autre arme de prédilection dans ce genre de situation, la politique monétaire, après avoir déployé toute sa puissance lors de la riposte contre l’attaque des mauvais crédits de 2007, semble avoir atteint ses limites. Certaines Banques centrales allant même jusqu’à envisager des taux d’intérêt négatifs, pendant que plusieurs esprits éveillés leur proposent de distribuer la monnaie en la parachutant par « hélicoptère »iii. Aussi, les deux politiques sont-elles heureusement des compléments stratégiques, notamment dans les pays participant à une union économique et monétaire.

C’est dire justement qu’on peut déployer sans regret, l’arsenal budgétaire pour résister à l’attaque du covid 19 dans la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) ; surtout que certains pays membres dont le Gabon, jouissent de la viabilité de leur dette publique. Ce qui leur confère nécessairement des marges de manœuvre budgétaires. Dans tous les cas, tous les pays du monde ont décidé de desserrer la contrainte de prudence budgétaire en augmentant considérablement les dépenses publiques pour contrer la brutalité du choc du covid 19.

Au Gabon, la première salve de la riposte budgétaire est estimée à près de 250 milliards de francs cfa. Aussi pertinent qu’il puisse paraitre dans de telles circonstances, l’usage de la politique budgétaire soulève quand même quelques inquiétudes dans un espace non keynésien et d’incertitude comme le Gaboniv. En effet, l’accroissement des dépenses publiques peine généralement à contribuer à la stabilisation de cette économie. Les ménages et les entrepreneurs étant surtout ricardiensv. Toutes choses qui invitent à une manipulation intelligente de l’outil budgétaire pour espérer contrer efficacement le covid 19. Je pense ainsi

que l’arme budgétaire doit principalement viser et éliminer physiquement et psychiquement le virus covid 19 au Gabon. Ce qui pourra restaurer la confiance et la motivation à l’investissement et à la consommation. Deux ingrédients qui sont essentiels à la restauration de la croissance économique. Pourquoi et Comment tuer le covid 19 en vue d’une stabilisation de l’économie gabonaise ? Je voudrais modestement faire le point et répondre à cette double interrogation.

I- Pourquoi tuer le covid 19?

La principale arme à la disposition de l’Etat aujourd’hui pour lutter contre le virus covid 19 est la politique budgétaire. Il s’agit d’octroyer une aide aux ménages et aux entreprises en leur fournissant principalement des liquidités susceptibles de leur permettre de résister à la crise.

Equipe de dépistage au CHU d'Owendo le 17 avril 2020 par Gabonactu.com
Equipe de dépistage au CHU d’Owendo le 17 avril 2020 par Gabonactu.com

Reste posée la question des canaux par lesquels cette aide peut transiter de manière efficace et celle relative à la réaction des agents économiques visés par l’effort de l’Etat. J’argue notamment que l’inefficacité et la non crédibilité des canaux choisis, d’une part et l’excès de prudence des agents ménages et entreprises du fait de l’existence du virus, d’autre part, peuvent sérieusement gripper l’économie gabonaise et l’empêcher ainsi de connaitre une stabilisation rapide.

1°) De l’inefficacité et de la non crédibilité des canaux de transmission des aides budgétaires

Les autorités gabonaises ont décidé de soutenir les ménages et les entreprises pour résister au choc du covid 19.

S’agissant des ménages, le Gabon a choisi d’accorder aux salariés mis en chômage technique, une allocation représentant entre 50 et 70 % de leur salaire brut. Les  revenus compris entre  80 000 et 150 000 F CFA restant maintenus. Dans la même veine, 4 milliards de F CFA et 2 milliards de F CFA sont consacrés à la prise en charge mensuelle respectivement des factures d’électricité et d’eau. Les loyers des personnes sans revenus sont également pris en charge par l’Etat de l’ordre de 2,5 milliards de F CFA. Afin de rendre gratuit le transport des personnes, une enveloppe de près de 6 milliards de fcfa est proposée comme assurance.

Concernant les entreprises, le soutien de l’Etat gabonais doit transiter par un guichet unique de l’ordre de 225 milliards de fcfa, visant principalement les entreprises en difficulté de trésorerie. Celles qui sont en cessation d’activité à cause de la crise sanitaire devant bénéficier d’un moratoire sur le remboursement de leurs dettes bancaires, sans pénalité. Par ailleurs, des remises d’impôts seront accordées aux entreprises qui préserveront des emplois. Alors que les entreprises de services à la personne et aux petits commerces verront leur impôt libératoire et leurs patentes réduits de moitié.

Ministère du pétrole à Libreville / Gabonactu.com
Ministère du pétrole à Libreville

L’ancien chef économiste du Fond Monétaire International, le Professeur Olivier Blanchard, nous apprend malheureusement qu’aucun de ces canaux de distribution ne fonctionne parfaitement. Il estime à raison d’ailleurs, que les informations sur les personnes ayant besoin

de cet argent sont limitées et il est donc difficile d’atteindre celles qui en ont le plus besoin. Une préoccupation qui justifie que soit allouée, une enveloppe budgétaire énorme, parce que dit-il, il est préférable de se tromper en donnant trop plutôt que pas assez. La dotation budgétaire de 250 milliards du Gabon est-elle assez ? Est-elle énorme ? Il convient de  rappeler que le seuil de prudence des dépenses publiques au Gabon est estimé à 25, 5 %vi. Ce qui signifie que le Gabon peut accroitre ses dépenses publiques jusqu’à 25,5 % de son PIB sans crainte de compromettre sa croissance potentielle. Autrement dit, avec un taux de dépenses publiques effectives d’environ 10 %vii avant la crise du covid 19, le Gabon dispose des marges de manœuvre budgétaires intéressantes, sachant bien sûr, les critères de convergence de la CEMAC. Malheureusement, l’attaque du covid 19 va réduire indéniablement la croissance potentielle en mettant une partie de l’activité économique, sinon toute l’économie à l’arrêt ou au ralenti. Toute chose qui invite à une stimulation intelligente de la demande. Aussi énorme qu’il puisse donc être recommandé, l’accroissement de la dépense publique doit, tout de même, tenir compte de la variation de la croissance potentielle de l’économie gabonaise.

Il se trouve par ailleurs, que l’économie gabonaise est non keynésienne en situation d’incertitude. Toute impulsion budgétaire peine effectivement à contribuer à la croissance économique au Gabon lorsque les risques d’actions en faveur de la consommation et de l’investissement sont jugés trop importants par les ménages et les entreprises. A cet égard, il est à craindre que les aides actuelles du gouvernement ne puissent conduire au maintien sinon à l’accroissement de l’activité économique. On peut donc estimer que les principaux écueils à la stabilisation de l’économie gabonaise procèderont des comportements prudents des ménages et des entreprises du fait de l’existence du covid 19.

2°) De l’excès de prudence des agents économiques

Deux principaux agents économiques sont considérés ici. Il s’agit des ménages et des entreprises.

S’agissant tout d’abord du comportement prudent des ménages, l’attaque du covid 19 a réduit considérablement leur capacité de consommation en raison de la perte de leur pouvoir d’achat. Ceux des ménages qui seront atteints par les aides de l’Etat et qui disposeront ainsi d’une propension à consommer élevée ne pourront malheureusement procéder à la consommation, contraints qu’ils seront par les difficultés d’approvisionnement et limités par l’étroitesse accentuée du marché. Cette situation ne risque pas de s’améliorer tant que le virus covid 19 sera en vie et quelle que soit l’ampleur des aides de l’Etat ou d’ailleurs leur forme (prêt ou subvention). Dans les pays structurellement mieux dotés, on peut minimiser cet effet de détour de consommation puisque les ménages peuvent affecter les liquidités reçues de l’Etat à la consommation de denrées alimentaires locales et aux remboursements des prêts immobiliers et concourir ainsi à la stabilité macroéconomique. C’est en tout cas ce que nous indique une fois de plus le Professeur Olivier Blanchard. Ce qui n’est malheureusement pas le cas des économies en développement, à l’instar du Gabon, qui ne produisent quasiment pas de denrées alimentaires et dont l’accès des ménages au crédit immobilier est quasiment inexistant. C’est dire qu’en lieu et place de la consommation de manière générale, les

Boulevard qui regroupe plusieurs administrations des finances à Libreville
Boulevard qui regroupe plusieurs administrations des finances à Libreville

ménages qui verront leur propension à consommer augmenter grâce aux aides de l’Etat seront obligés de recourir massivement à une épargne de précaution faute d’alternative réelle, et surtout en raison des anticipations négatives sur les effets de la crise et sa durée. Ainsi, tant que le virus covid 19 sera en vie, les aides publiques aux ménages auront du mal à contribuer à la relance de l’économie gabonaise.

Concernant ensuite le comportement prudent des entreprises, ces agents économiques vont très probablement limiter leur investissement en anticipant une demande effective très faible. Les aides de l’Etat serviront uniquement à gérer les affaires courantes et notamment garantir les emplois existants pour éviter les représailles des autorités publiques bienfaitrices. Aucun investissement entrainant ne pourrait avoir lieu au Gabon tant que le virus covid 19 sera en vie. Par conséquent, l’économie gabonaise ne pourrait pas retrouver la stabilité par le canal de l’investissement tant que l’Etat ne se débarrassera pas du virus covid 19. La prudence excessive des entreprises du fait de l’incertitude accentuée par l’existence du virus découragera, sans doute, l’investissement et déprimera l‘économie.

Les aides de l’Etat gabonais pourraient finalement conduire à une forte inflation plutôt qu’à une croissance économique.

II- Comment tuer le virus covid 19?

Le soutien à la demande par une expansion budgétaire constitue probablement un moyen d’endiguer la crise du Covid-19. Mais, si ce virus n’est pas définitivement éradiqué, il sera difficile de modifier l’ancrage des anticipations négatives sur ses effets économiques et sociaux. Ce qui doit constituer une priorité absolue pour l’économie gabonaise c’est l’élimination du covid 19. Mais comment tuer ce dangereux attaquant? Je pense comme Olivier Blanchard, qu’il faut évidemment confier cette impérieuse mission à la politique budgétaire en l’orientant aussi bien vers le soutien à la demande globale que dans la réduction de l’infection et l’aide aux sinistrés. Mais, sans toutefois négliger les autres rôles et plutôt couvrir leur efficacité, la politique budgétaire du Gabon doit surtout viser la lutte contre l’infection. Pour ce faire, elle doit s’accompagner d’une politique active d’intégration économique sous régionale, chargée spécifiquement d’atténuer l’impact économique du choc au sein des économies membres.

1°) De la lutte contre l’infection covid 19

Le combat direct contre le virus covid 19 incombe principalement au domaine de la santé. Il faut donc que les aides de l’Etat soient orientées massivement et prioritairement vers le développement de la santé préventive et de celle curative. En cela, il faut considérablement financer la recherche sur le médicament. Cela commande une identification et une organisation rigoureuses des cadres de la recherche dans le domaine sanitaire au Gabon (médecines traditionnelle et moderne). Le Gabon dispose incontestablement d’un capital humain compétent en la matière. Il faut leur faire confiance. Les financements colossaux doivent aussi viser le renforcement des capacités techniques des structures hospitalières existantes. Il faut équiper des hôpitaux et leurs personnels de tout ce qui concourt à la lutte efficace contre le virus covid 19. Par ailleurs, l’urgence et le respect du principe des avantages

CHU de Libreville / Gabonactu.com
CHU de Libreville / Gabonactu.com

comparatifs commandent que soit desserrée la contrainte de prudence en l’endroit des médicaments dont l’efficacité, même relative, semble avérée et qui sont déjà produits par d’autres pays. En clair, il ne faut pas hésiter à recourir à l’achat de ces produits. Le but étant de restaurer la confiance des agents économiques en vue d’une stabilisation rapide de l’économie.

Il faut également acheter massivement les médicaments contre les autres pathologies chroniques pour permettre aux populations de se soigner plus facilement et réduire ainsi la congestion des hôpitaux.

C’est l’occasion de réhabiliter finalement les dispensaires dans les villages pour les premiers soins.

Manifestement, le Gabon doit créer des entreprises de production de médicaments et des équipements de santé tout en soutenant celles qui existent déjà. Du reste, la crise du covid 19 a fini de convaincre sur l’impérieuse nécessité d’investir massivement dans le secteur de la santé, notamment pour les pays en développement.

Tout compte fait, ça vaut le prix de la relance économique.

2°) De l’urgence du renforcement de l’intégration sous régionale dans la CEMAC

La crise du covid 19 a poussé les pays à opter pour le confinement et la fermeture des frontières pour réduire sinon empêcher la contagion internationale du virus. Les conséquences de ces mesures sont le rétrécissement significatif des importations et des exportations. Ce qui est de nature à conduire inexorablement vers la récession, les économies concernées et particulièrement extraverties. Sans négliger la possibilité de contagion du virus à l’intérieur d’une union économique et monétaire, il parait tout de même important, sinon crucial pour les « petits pays » de libérer la circulation des personnes et des marchandises dans un tel espace en ouvrant les frontières.

Face à la mondialisation et notamment aux chocs y relatifs, l’intégration économique et monétaire apparait indispensable pour les « petits pays » en développement. En effet, elle offre indéniablement un élargissement du marché. Ce qui conduit à un plus grand choix et des prix stables pour les consommateurs et les citoyens; à une plus grande sécurité et davantage de débouchés pour les entreprises et les marchés; à une stabilité économique et une croissance plus fortes; pour ne retenir que ces quelques avantages.

FCFA, monnaie commune de la CEMAC

La mobilité dans l’union peut ainsi atténuer la chute des importations et des exportations en desserrant la contrainte d’approvisionnement et en élargissant l’assiette de consommation pour les ménages à forte propension à consommer du fait des aides de l’Etat, d’une part et en rassurant les entreprises dans leur projet d’investissement dont les productions pourraient s’absorber plus facilement dans un marché désormais plus vaste, d’autre part. Autant de choses qui peuvent contenir la décélération de l’activité économique.

Evidemment, cela nécessite que tous les pays membres se soient accordés pour orienter préalablement d’énormes moyens financiers vers le renforcement et le développement du

domaine de la santé en vue de tuer le virus. La coordination sous régionale des politiques économiques devient ainsi impérative pour éliminer le virus covid 19. La stabilisation de l’économie gabonaise est également à ce prix.

En définitive, je trouve pertinent le recours systématique à une politique budgétaire de soutien à la demande au Gabon pour faire face à la crise du covid 19. Je note que pour tuer ce virus, l’effort budgétaire, qui doit du reste être important tout en tenant compte de la variation de la croissance potentielle, doit prioriser le domaine de la santé en accordant un financement massif à la recherche sur le médicament et aux investissements des entreprises productrices des biens et des services de santé. Aussi, faut-il garder les frontières ouvertes et coordonner des politiques de lutte contre l’infection à l’intérieur de la CEMAC pour permettre aux pays membres comme le Gabon, de profiter d’un marché plus large au sein duquel les ménages pourvus de liquidités venant de l’Etat pourraient flexibiliser leur consommation et grâce auquel les entreprises soutenues pourraient reconsidérer leurs anticipations négatives de l’évolution de l’économie et finalement décider d’investir et profiter des débouchés offerts par le marché commun.

Professeur Médard MENGUE BIDZO, auteur du texte

i choc de demande et choc d’offre

ii Par exemple Jean TIROLE, Prix Nobel d’Economie 2014 et Olivier Blanchard, macroéconomiste français, spécialiste de l’économie du travail. Professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), il a été, du 1er septembre 2008 à octobre 2015, chef économiste et directeur des études au Fonds monétaire international.

iii Face à l’ampleur de la crise économique provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus, le concept de monnaie hélicoptère ressurgit. Aux mains des banques centrales, cet instrument financier consiste à donner directement de l’argent aux ménages pour relancer la demande et doper l’activité économique. Rappelons que c’est le monétariste Milton FRIEDMAN en 1969 qui a développé ce concept et pour l’illustrer, invite à Imprimer des billets et les jeter depuis un hélicoptère dans les  rues pour inciter les ménages à dépenser de manière à faire repartir l’activité économique.

iv Une étude récente de la BEAC réalisée par Bikai et al (2017) montre que l’impact d’une augmentation discrétionnaire des

dépenses publiques est négatif au Gabon en raison soit d’un effet d’éviction total de l’investissement privé par la consommation publique, soit parce que le gouvernement finance ses dépenses par l’usage de taxes distorsives qui sont de nature à influencer les décisions de production, de consommation, d’épargne, d’investissement et d’offre de travail.

v Préférence pour une épargne de précaution du fait de l’incertitude

vi Ce résultat procède d’une démonstration que j’ai réalisée en 2013 dans un article intitulé Taille optimale de l’Etat dans une union monétaire : le cas de la CEMAC. (https://www.academia.edu/5905643/Taille_optimale_de_lEtat_dans_une_union_mon%C3%A9taire_le_cas_de_la_CEMAC)

vii Selon les données de la Banque mondiale (2019).

Par : Professeur Médard MENGUE BIDZO, Laboratoire d’Economie Appliquée Faculté de Droit et des Sciences Economiques Université Omar Bongo Libreville – Gabon

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