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Libreville, 14 juillet (Gabonactu.com) – D’aucuns pourraient plaindre la masculinité dévouée qu’entretiennent les domaines du livre et de l’édition en Afrique et pourtant depuis une dizaine d’années, la gente féminine a compris le rôle primordial qui est le sien, pour la prospérité du domaine. Que ça soit dans la pratique et la qualité de l’écriture, des publications et aujourd’hui dans le travail éditorial, de plus en plus, les femmes s’accrochent. Ces dernières années, nombreuses d’entre elles, se sont démarquées en remportant de nombreuses distinctions élogieuses. La dernière prouesse en date est celle de la camerounaise Imbolo Mbue, qui a signé des royalties de plusieurs millions de francs CFA, avant même la publication effective de son roman « Behold the Dreamers » traduit déjà à une dizaine de langues.
Dans ses parutions précédentes, le magazine des littératures africaines, « CLIJEC, le Mag’ » a mis en lumière une sixaine de femmes qui œuvrent valeureusement au quotidien pour la valorisation des lettres et des littératures du continent. Nous nous rappelons de la camerounaise Me Flore Ndaz Zoa, fondatrice de la CENE Littéraire installée en Suisse, qui promeut les écrivains noirs engagés et leurs œuvres et décerne désormais un grand prix littéraire à une œuvre africaine, chaque année. Nous avons également l’algérienne Nawal El Saadawi, la sénégalaise Aminata Sow Fall (Lauréate du Grand Prix littéraire d’Afrique noire, Prix international pour les lettres africaines, Grand prix de la Francophonie de l’Académie française), ou encore l’équato-guinéenne Guillermina Mekuy Mba Obono, femme politique écrivaine et ministre de la culture de son pays la Guinée Équatoriale. Ce mois, nous vous présentons la conquérante et valeureuse Sylvie Ntsame, écrivaine, éditrice, de la république du Gabon.
Sylvie Ntsame : un parcours conquérant et éloquent
Née en 1964, Sylvie a été piquée par le virus de l’écriture très jeune. L’environnement livresque dans lequel elle a fait ses premiers pas l’a façonné et a conservé ce goût inaltéré pour le livre. C’est pourtant bien plus tard (en 2001), qu’elle publie son premier livre « La correspondance administrative et diplomatique », qui est un ouvrage pratique, dans le domaine de la rédaction administrative, qu’elle exerce au quotidien, comme fonctionnaire, secrétaire au cabinet du ministre d’ État et de l’habitat (1996-1999), et secrétaire particulière du Directeur de cabinet du Premier ministre (1999-2009). Déjà en 2004, elle publie son tout premier roman « La fille du Komo » aux Éditions L’Harmattan, qui relate une belle histoire d’amour entre Roberte, jeune immigré, et Georges, Français. Le livre expose les difficultés que peut subir l’amour entre deux personnes de cultures différentes.
L’Afrique : un sanctuaire de femmes…mais peu d’amazones
Un an plus tard (2005), l’écrivaine dévouée publie un troisième : « Malédiction » qui est roman, sorti également chez L’Harmattan, qui relate la malédiction d’un jeune homme, Joël proférée par celui qui aurait pu être son beau-père. En effet, Joël avait refusé et de manière catégorique la proposition de mariage que son père avait arrangée en allant chercher une femme au village. Le père de la fille en question ne supporta pas l’affront et n’hésita pas à cracher des mots noirs à l’endroit du jeune homme, qui malheureusement, se transformeront en des malédictions bien plus tard.
2006 est une année décisive pour l’écrivaine qui devient présidente de l’UDEG (Union des écrivains du Gabon), association des écrivains du pays. Son combat est vite lancé ; donner une visibilité plus grande au livre gabonais sur le territoire national et à l’étranger. Pour y arriver, de nombreuses initiatives dans le sens des caravanes livresques, foires et expositions, concours et cafés littéraires sont propulsées.
En 2007, elle publie un autre roman chez le même éditeur « Mon amante, la femme de mon père », qui est une histoire développant une intrigue tournée autour d’une relation incestueuse entre la troisième épouse (bien jeune) de Mendang et le fils du concerné. Une union qui donnera d’ailleurs des rejetons. La pratique de la sorcellerie dans le village Nko’o, est également mise en exergue dans cette production de 184 pages.
En 2009, elle est nommée directeur de cabinet du ministre délégué à l’enseignement supérieur. Elle exercera plus tard aux ministères de l’Agriculture et des Transports. Elle sera réélue pour un autre mandat à la tête de l’UDEG. Sylvie Ntsame expérimente sa maturité et son humanité à travers ses initiatives notamment son association « Sourire à l’enfant démuni », qui aide les enfants abandonnés. Cette maturité, elle va le sentir notamment avec le besoin nécessaire et urgent de publier localement. Elle va ainsi donc créer en 2010, dans la capitale de son pays, les « Éditions Ntsame », qui ont un objectif majeur : donner la chance aux auteurs de son pays de publier directement sur place. D’ailleurs, elle y publiera plusieurs ouvrages dont « Femme libérée battue », roman ou encore « Le soir autour du feu » qui est un recueil d’une huitaine de contes alléchants.
Sylvie Ntsame : les éditions – le combat autrement
En 2010, lorsque l’ambitieuse Sylvie Ntsame créée la maison d’édition qui porte son nom, seule une dizaine existe dans le paysage gabonais. L’amateurisme et la pratique de l’absence de la lecture braquaient l’environnement éditorial le rendant souvent stérile. Même si l’eldorado n’est pas encore visible, sept (07) ans plus tard, la situation est beaucoup plus soutenable. Le livre gabonais se vend désormais, la littérature du pays grandit et trois de ses auteurs (Bessora, Jean Divassa Nyama, Augustin Emane) ont été récompensés par l’Association des écrivains de langue française (Adelf) à travers le Grand prix littéraire d’Afrique noire. De nouveaux visages très prometteurs de la littérature se font savoir à l’exemple de Charline Effah, de Bessora ou encore d’Edna Merey Apinda.
Les Éditions Ntsame dispose aujourd’hui d’un catalogue bien garni (une centaine de titres) et est présent à de nombreux évènements internationaux sur le continent ou en dehors (en Europe notamment). La maison d’éditions produit désormais des livres scolaires qui représentent un très bon marché dans les pays africains.
Même si le mode de publication de la maison ne se distingue pas beaucoup de la plus part des éditeurs des pays voisins (qui demandent aux auteurs de financer leurs publications), les Éditions Ntsame, publie quelques privilégiés (accepté par le Comité de lecture) à compte d’éditeur.
La maison d’édition dispose d’une mini-imprimerie qui l’aide dans la production de ses ouvrages qui trouvent le public lecteur dans l’environnement gabonais. Elle s’appuie sur un réseau de distribution représentatif qui couvre la capitale Libreville, Oyem, Port-Gentil, ou encore Franceville. En termes de communication, sa présence numérique n’est pas négligeable. La maison d’éditions dispose d’un espace web, une présence continue sur les réseaux sociaux à travers des groupes et autres communication de campagne (ce qui est encore privilégié par rapport aux éditeurs des pays voisins).
Slyvie Ntsame : la promotrice du SILAL
Le SILAL est le Salon international du Livre et Arts de Libreville. C’est le plus grand rendez-vous annuel autour du livre et des arts de la capitale du Gabon. Il accueille et regroupe les éditeurs du pays et les auteurs autour de moments livresques. C’est une foire, qui est une occasion rêvée pour des lecteurs (généralement des jeunes élèves et étudiants), de se frotter de plus prêt avec leurs auteurs favoris et surtout de se procurer des ouvrages à des prix préférentiels.
En avril prochain, la 4e édition de l’évènement est annoncée et certaines indiscrétions parlent d’une plus grande présence d’auteurs des sous-régions Afrique centrale et Afrique de l’ouest. Ce qui est sûr, c’est la volonté accrue de la femme conquérante du domaine éditorial du Gabon, pour rendre plus visible ce salon et porter plus haut sa dimension internationale. Pour cela, elle n’hésite pas un seul instant de l’évoquer lors de ces rendez-vous internationaux (Foires par exemple). Dans ce sens, elle ne mâche pas ses mots lorsqu’il faut faire un plaidoyer pour un plus grand soutien du gouvernement de Libreville dans le soutien à la manifestation.
Sylvie Ntsame : présidente de l’Alliance des éditeurs d’Afrique centrale
C’est en mi-février dernier, à Casablanca au Maroc (pendant le SIEL : Salon International de l’Édition et du Livre), que Sylvie Ntsame, provisoirement a été désignée présidente de l’Alliance des éditeurs d’Afrique centrale, qui est une association qui visera à fédérer les dynamiques nationales des pays de la sous-région pour une meilleure santé du livre et du secteur de l’édition. D’autres éditeurs, du Tchad et du Cameroun font également partie de ce bureau provisoire. C’est d’ailleurs à Libreville que les intéressés vont se regrouper pendant le SILAL prochain pour adopter la vision générale et les différents statuts de la future grande association.
Sylvie Ntsame : la conquérante promotrice de la littérature gabonaise
Par le dynamisme de ce personnage, et sa volonté de parfaire ce qui est déjà fait, il y a une lignée positive qui s’installe désormais au Gabon. Un combat qu’elle mène avec plusieurs autres acteurs, et qui à coup sûr portera des fruits, dans les années futures. Par cet article, le magazine des littératures africaines « CLIJEC, le Mag’ », témoigne de son respect et de ses encouragements à Sylvie Ntsame. Ce combat ne pourrait point être gagné si un engagement réel des gouvernements se matérialise. Ces pays pourraient prendre l’exemple du Cameroun qui forme depuis 23 années des professionnels dans les domaines de l’édition, à travers l’École des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC).
Ulrich Talla Wamba,
De retour de Libreville
Cet article a été publié dans
le magazine des littératures africaines « CLIJEC, le Mag’ » en mars 2017.