Le 06 janvier 2020, au quartier Plein-ciel, en journée, un braqueur d’une quinzaine d’année, a été abattu de deux coups de fusils au dos par un inconnu à bords d’un véhicule, en voulant prendre la fuite. Il venait de délester une femme âgée d’une soixante d’année de son sac à main. Suite au coup de feu, les badauds ont d’abord pris la fuite, avant de revenir sur le lieu de l’incident et découvrir le braqueur baignant dans une mare de sang, le dos déchiqueté par l’impact de balles. La victime avait retrouvé son sac et le tireur justicier avait disparu.
Les riverains et les badauds ont aussitôt salué le prétendu geste héroïque du tireur, c’était bien fait pour ce bandit qui terrorisait les riverains. Sur les réseaux sociaux, certains internautes ont allumé des feux de joies pour saluer l’acte du justicier inconnu, du Zorro des temps modernes. A la suite, le justicier inconnu aurait semble-t-il pondu une publication sur les réseaux sociaux en se présentant comme un officier de police, justifiant son acte, comme un punisher.
On se croirait aux Philippines, où les habitants de Manilles découvrent chaque matin, leurs rues jonchés de cadavres de criminels assassinés par les forces de l’ordre ou par des groupes d’auto-défense, des mercenaires, des chasseurs de prime, sur ordre du président philippin. Rodrigo Duterte a été élu président de la République grâce à sa promesse de tuer des milliers de criminels en appelant ouvertement aux meurtres.
Nous sommes à Libreville. Ailleurs, aux Etats-Unis, ou en France, un tel événement aurait suscité l’indignation des populations, de la société civile, qui auraient manifesté pour dénoncer ce crime, et appeler à la justice.
Le procureur de la République, plusieurs jours après ce meurtre, n’a toujours pas trouvé juste de s’exprimer sur cette affaire, qui mérite pourtant tout son intérêt. Aucune autorité administrative, religieuse, personnalité publique, ne s’est levée pour condamner ce crime. Pourquoi ce silence ? Faut-il attendre l’indignation des citoyens, une marche de protestation comme cela avait été le cas avec l’affaire Waly, pour que la justice se saisisse de ce dossier ?
Ce silence signifierait-il que nous avons décidé de légaliser la justice populaire, la justice au bout du revolver ?
Nous avons privé de milliers de jeunes, d’une enfance normale, d’airs des jeux, d’espace éducatif, d’un système de formation adéquate, d’emploi, de perspectives d’avenir. Livrés à eux-mêmes dans les quartiers défavorisés, tout bon qu’a servir de bétails dans les raouts politiques, à coût de tee-shirt, de casquette, d’alcool et d’un billet de dix mille pour les plus chanceux. Maintenant nous savons décidés de nous débarrasser de cette jeunesse, devenue vermine, microbe, par des exécutions sommaires. Le silence de la justice, des autorités, notre silence serait une façon d’encourager désormais la justice populaire. Ne soyons pas surpris demain, de découvrir au petit matin, nos rues jonchées de cadavres mutilés, brûlés, torturés, criblés de balles. Parce que nous avons décidés d’élever une République, où l’autorité et l’ordre morale vont laisser la place à la justice populaire, à la justice au bout du revolver, au supplice de la roue, au lynchage, au groupe d’auto-défense, au peloton d’exécution. Nous avons décidé de bâtir un Etat de non droit.
Comment comprendre qu’un quidam, embusqué dans une voiture décide d’abattre de sang-froid, lâchement un malfrat qui lui a tourné le dos, alors qu’il aurait pu l’immobiliser, soit élevé au rang de justicier ? Alors qu’il s’agirait plutôt d’un homme qui a répondu à ses pulsions en tuant de sang froid un bandit en fuite, dos tourné et que nous n’étions pas ici en situation de légitime défense. Si tous les hommes détenteurs d’une arme à feu décidaient de faire usage de leurs armes pour rendre la justice, où allons-nous ? Le Far west, un no man’s land, une zone de guerre, une zone de non droit…
Si nous laissons faire, à qui demain sera le tour ? D’abord aux criminels, après aux homosexuels, ensuite aux étrangers que nous accusons de piller notre pays, après aux activistes, aux lanceurs d’alertes, aux opposants, aux avocats, aux intellectuels, aux journalistes qui dénoncent la violation des droits de l’Homme et le recul de la démocratie, puis aux voleurs en col blanc qui narguent la justice et les citoyens en toute impunité.
Est-que c’est le pays que nous voulons léguer à nos enfants ? Est-que c’est pour ces valeurs que nos illustres prédécesseurs se sont battus ? Les Jean Hilaire Obame, Simon Oyono Aba’a, Louis Agondjo Okawé, Martine Oulabou, Gregory Ngwa minsta, Pierre Mamboundou, se sont battu au péril de leurs vie, pour l’instauration d’un Etat de droit. Lutter pour la démocratie, ne signifie pas seulement chasser un système pour en placer un autre, ou prôner l’alternance. C’est d’abord, lutter pour des valeurs universelles, intrinsèques, intemporelles, omnipotentes, transcendants les clivages politiques, religieux, de genre, de classe sociale, de race. C’est la consolidation d’un Etat de droit où même le damné a droit à la présomption d’innocence, à un procès équitable, à la condamnation, à la repentance, à une réinsertion sociale.
Et l’avocat Anges Kevin Nzigou, par ailleurs membre du mouvement Appel à Agir, qui mène une campagne pour exiger une expertise médicale d’Ali Bongo Ondimba suite à ses ennuis de santé, pour prouver son incapacité à gouverner le pays, nous donne une belle leçon de droit de l’Etat de droit, en prenant la défense de l’ancien directeur de cabinet du président de la République, Brice Laccruche Alihanga, déchu et accusé de détournement de fonds dans le cadre de l’opération Mamba 2.
Alors que nous avons tous été scandalisés par la tournée dite républicaine de Laccruche alihanga, et de sa main mise sur l’exécutif, pendant la parenthèse médicale du chef de l’Etat, Anges Nzigou prend la défense de ce dernier, non pas qu’il soit convaincu de l’innocence de son client, ou qu’il soit guidé par l’intérêt pécuniaire. Bien au contraire, il sait que son client est bien coupable, de plusieurs griefs qui lui sont reprochés, mais il veut que ce dernier bénéficie d’un procès équitable, d’une sentence juste au nom de la loi et qu’il ne soit pas la victime d’une justice qui serait marionnette.
La femme du 3ème âge qui a été agressée, a retrouvé son sac, le jeune malfrat a été tué, mais l’assassin court toujours. Et il faut que la justice soit rendue.
Arnaud MBENG EDOU, fondateur de la lettre d’information Le Confidentiel