Ce qui n’était au départ qu’une simple opération de contrôle s’est transformée en une importante prise pour les forces de l’ordre. Deux ressortissants nigérians, considérés comme des acteurs majeurs d’un réseau de trafic de cocaïne opérant dans plusieurs quartiers de la capitale économique, ont été arrêtés par les agents de l’antenne provinciale de l’Office central antidrogue (Ocad). Cette opération coup de poing, a permis de mettre la main sur une importante quantité de drogue et de démanteler une partie d’un réseau bien structuré.
Une livraison qui tourne court
Il est un peu plus de 20 heures ce soir-là. Les agents de l’Ocad sont en patrouille dans le secteur de Massoukou, un quartier connu pour ses ruelles animées, ses points de vente informels… et ses transactions clandestines. Au détour d’un carrefour, ils repèrent un taxi suspect, utilisé régulièrement comme moyen de livraison. À son bord : Victor Onwuedi Ozoemelame, 44 ans, de nationalité nigériane. Ce dernier vient tout juste de livrer quatre capsules de cocaïne à un client. Pris en flagrant délit, il est immédiatement interpellé. D’abord nerveux, puis résigné, le chauffeur de taxi passe rapidement aux aveux lors de son audition au poste.

« Auparavant, j’avais été contacté par mon compatriote Grégory pour l’aider à livrer la cocaïne auprès de ses clients, à l’aide de mon taxi », reconnaît-il avant d’ajouter que « je recevais entre 3 000 et 5 000 francs CFA pour chaque livraison ; ce soir-là, je n’ai pas eu le temps de fuir. »
La chute d’un fournisseur
Grâce aux indications de Victor, les enquêteurs remontent la piste de son complice présumé, Grégory Uzoegbu Uchechukwu, 41 ans. L’homme, considéré comme un fournisseur actif dans le réseau, est arrêté quelques heures plus tard au quartier Trois-Filaos. La perquisition menée à son domicile révèle l’ampleur de l’affaire : 50 conditionnements de cocaïne soigneusement emballés, 12 capsules prêtes à la vente et un sachet de cocaïne en vrac sont découverts, cachés dans sa chambre. Face aux enquêteurs, Grégory tente d’abord de minimiser son rôle, avant de reconnaître son implication.
« Mon rôle est de préparer le produit pour la commercialisation, et Victor s’occupe de la livraison. Mais la drogue trouvée chez moi appartient à mon compatriote Idika, qui me l’envoie dissimulée dans des ballots d’habits », déclare-t-il.
Une méthode discrète mais bien rodée, qui démontre le niveau d’organisation de ce réseau transnational.
Un trafic bien implanté à Port-Gentil
Cette affaire n’est pas isolée. Depuis plusieurs années, Port-Gentil est devenue une plaque tournante du trafic de stupéfiants au Gabon. Les réseaux étrangers, souvent nigérians et ouest-africains, y trouvent un terrain propice : une forte concentration urbaine, des zones mal surveillées, des axes de circulation portuaire… et une jeunesse vulnérable à la consommation. Des quartiers comme Château, Massoukou, Transfo, N’tchengué, Quatrier-Chic ou encore Trois-Filaos sont désormais cités comme des zones à haut risque. Les trafiquants s’y appuient sur des livreurs locaux, des cachettes dans des maisons en location, et des canaux discrets de distribution qui échappent souvent aux patrouilles régulières.
« Ce n’est plus un petit trafic de rue. Ce sont de véritables réseaux structurés, avec une logistique bien pensée », confie une source policière. « Ils utilisent des taxis, des motos, parfois même des pirogues pour transporter les produits d’un quartier à un autre », ajoute la source.
Un fléau social qui gagne du terrain
L’affaire de Victor et Grégory soulève une inquiétude plus large : celle de l’explosion silencieuse de la consommation de drogues dures à Port-Gentil, notamment de la cocaïne. Longtemps considérée comme une drogue réservée aux milieux aisés, elle s’est démocratisée ces dernières années, avec des doses vendues à prix cassés. Des enseignants, travailleurs sociaux et familles témoignent d’une présence accrue de la drogue dans les établissements scolaires, les bars, les zones de loisirs et les milieux professionnels.
« Certains jeunes commencent à consommer dès 15 ou 16 ans. C’est une réalité qui détruit des vies et des familles », déplore Odette Koumba une éducatrice.
Les autorités en alerte, mais la bataille reste rude
Face à cette montée inquiétante, les forces de l’ordre multiplient les coups de filet. Rien qu’en 2025, plusieurs dizaines d’arrestations ont été enregistrées à Port-Gentil, et d’importantes quantités de drogues ont été saisies. Mais les réseaux se reconstituent aussi vite qu’ils sont démantelés.
« On coupe une tête, une autre repousse », résume un agent de l’Ocad. « Tant que la demande existe, le trafic continuera d’exister. »
Les deux trafiquants nigérians, présentés devant le parquet de Port-Gentil, ont été placés sous mandat de dépôt à la prison du Château en attendant leur procès. Ils risquent de lourdes peines de prison pour trafic et détention de stupéfiants, conformément aux dispositions de la législation gabonaise.
Une ville en lutte contre un poison invisible
Au-delà de l’affaire judiciaire, cette arrestation illustre une bataille plus vaste : celle d’une ville qui lutte contre un poison qui s’infiltre lentement dans son quotidien. Dans les ruelles sombres de Château, dans les parkings des taxis, sur les bancs des écoles et jusque dans certains foyers, la drogue a déjà trouvé son chemin. Pour certains habitants, la peur est quotidienne. « On sait qui vend, on sait où. Mais personne n’ose parler », murmure Hugues Mboumba un commerçant. « Ces réseaux sont puissants, ils recrutent vite. Et tant qu’il y aura de la misère, ils trouveront toujours des bras pour livrer. »
Un signal fort, mais un combat à poursuivre
L’arrestation de Victor et Grégory n’est qu’un épisode d’une guerre de longue haleine. Les autorités appellent à une riposte globale : répression, sensibilisation, prévention et implication communautaire. Car à Port-Gentil, la drogue n’est plus une rumeur de ruelle. Elle est devenue une réalité palpable, dangereuse et tenace. Et tant que cette réalité persistera, les opérations coup de poing comme celles-ci resteront indispensables… mais pas suffisantes.
Jean-Jacques Rovaria Djodji