Sur la route du fer de Bélinga (un reportage d’Yves Laurent GOMA)

Libreville, Gabon (Gabonactu.com) – Parler du fer de Bélinga à un citoyen lambda brésilien, français, américain et même chinois n’a probablement aucun intérêt. Et pourtant, dans les entrailles de cette succession de montagnes couvertes d’une luxuriante forêt tropicale bouillonnent de gros enjeux géostratégiques planétaires dont les gabonais semblent être des simples spectateurs. Gabonactu.com a bravé les obstacles pour pénétrer au cœur du mystère Bélinga. Une aventure passionnante.

Bélinga, affirment les spécialistes, est à ce jour, le dernier plus important gisement de fer au monde non encore exploité. Plus d’un milliard de tonnes de réserve. Une teneur en fer oscillant entre 60 et 65%. Ce fabuleux trésor n’est cependant jamais sorti de terre pour alimenter les industries sidérurgiques d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. Toutes les tentatives se sont soldées par un échec cuisant.

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Il y a déjà une semaine que Sylvain Desjardin – Grand reporter de Radio Canada – et moi tentons de boucler notre feuille de route que nous avons baptisée « sur les traces du fer de Bélinga ».

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Premier gros obstacle : le transport. En ce mois de févier 2010, aucune compagnie aérienne ne dessert Makokou, la ville la plus proche pour rallier Bélinga. Motif : destination non rentable. Cette région perdue au nord est du Gabon (environ 600 km de Libreville) est actuellement l’une des moins développées du pays.

L’hypothèse de l’avion écartée, il reste deux options. Louer un 4X4 tout terrain ou prendre le train et continuer le reste du parcourt dans un taxi brousse. Sylvain qui tient les cordons de la bourse opte pour la deuxième hypothèse.

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Un soir de février, nous nous embarquons dans le train Nsa express, la meilleure offre de la Setrag, la compagnie qui exploite le chemin de fer gabonais. Après plus 7h de parcourt le mastodonte s’immobilise en gare de Booué. Il est 2heures du matin. La descente est rapide. Un taxi brousse consigné nous attend. Nous fonçons nuitamment sur une route chaotique traversant quelques étendues de savanes et une forêt à la canopée très épaisse. Pour ne pas s’endormir le chauffeur laisse couler en continue une musique énervante. Les baffles déversent un son pourrie. Mais il faut faire avec.

Tant bien que mal, l’odyssée se poursuit. Et dès 7h, le taxi brousse arrive à Makokou. La ville se réveille à peine. Un épais brouillard plafonne la cime des arbres de la forêt qui ceinture la petite cité peuplée en majorité des kotas et des fangs. Il y a aussi des kwélés. Les eaux sombres de l’Ivindo, le fleuve qui borde la ville sont glaciales.   

 

Sylvain et moi partagions rapidement un café dans un restaurant tenu par une camerounaise. Bahot, chauffeur d’une Mitsubishi double cabines prend la relève du taxi brousse. Notre route sur les traces du fer de Bélinga se poursuit. Plus qu’une centaine de kilomètres à parcourir. Mais c’est aussi le plus mauvais tronçon. Au passage, quelques petits villages d’une vingtaine ou trentaine de maisons. Les habitants ici vivent d’agriculture, de chasse et d’orpaillage. La région est riche en minerais d’or exploités de manière artisanale.

Bahot fonce. L’ambiance abord du véhicule est bon enfant. Un guide d’ethnie kwelé est abord pour servir d’interprète. 2heures de route après, la double cabine tourne à gauche, abandonnant la meilleure piste pour une autre beaucoup plus restreinte et surtout pas du tout entretenue. « Nous venons de laisser la piste qui conduit vers Mékambo, autre principale agglomération de la province de l’Ogooué Ivindo. Maintenant, nous fonçons droit vers les monts Bélinga », annonce Bahot, comme un parfait guide travaillant pour un tour opérator. 

La forêt est plus vierge. Très humide. Des chants d’oiseaux accompagnent les vrombissements de la Mitsubishi dont la vitesse ne dépasse pas 40 km/h. Difficile d’avoir une vue panoramique.  

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Brusquement, Bahot s’arrête. D’un ton solennel, il annonce que nous entrons dans la zone du minerai. « La montagne commence par ici et s’étend sur plusieurs kilomètres », dit-il. Pour avoir une belle vue, il décide de nous conduire vers une montagne où Zain, opérateur de téléphonie mobile a implanté une antenne de communication, en prévision de l’exploitation du gisement de fer. Finalement, il est impossible de continuer le chemin. Un arbre s’est écrasé la veille sur le chemin. « C’est fréquent ici », regrette-t-il.

Nous reprenons le chemin de la route du fer. Preuve de la richesse du gisement, des roches verdâtres teintées de marron et de noir s’offrent en spectacle sur le bord de la route. Ces belles vues se succèdent donnant l’impression que la future exploitation serait à ciel ouvert. Pour nous permettre de capter ces images, Bahot ralenti davantage. Il s’immobilise devant une galerie.

 « Ce sont des galeries creusées dans les années 60 par les américains », se souvient-il. Hermétiquement fermées, ces galeries ont été faites pour les sondages et les études de faisabilité. Les données scientifiques du gisement ont été prélevées à partir de ces galeries. Les équipes de la compagnie brésilienne CVRD (Companha vale de rio doce) ont revisité ces galeries entre 2005 et 2006. Géant mondiale du fer, la CVRD détiendrait les données les plus actualisées du gisement. 

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La traversée de la zone des galeries terminée, Bahot met le cap sur Mayibouth. C’est le village le plus proche du gisement. La plus part de maisons sont en terre battue. Certains sont en planches et quelques unes en dur. L’orpaillage est l’activité principale du village. Grâce à l’or le village est partiellement électrifié, il y a la télévision mais pas d’école et de dispensaire.

La peur a gagné les habitants de Mayibouth en 2005 lorsque les brésiliens et chinois s’étaient associés dans un consortium pour exploiter le fer de Bélinga. Ils étaient prévenus que leur village sera rasé. « Nous partirons mais ils doivent nous installer à l’endroit choisit par nous et nous verser une indemnité mensuelle de survie », averti le chef du village de Mayibouth. 

Partir de Mayibouth oui mais quand ? C’est toute la complexité du projet Bélinga confié en 2005 au brésilien (CVRD) et finalement aux chinois depuis mai 2006 sans que rien ne bouge. 

Notre saga s’est arrêtée dans cette bourgade. Impossible de continuer. Un pont s’est brisé à quelques mètres du village. On croyait voir des images encore plus spéctaculaires. En fin de compte. Pas grand-chose. Tout est encore à l’état naturel. Une épaisse forêt. Une succession de montagnes mais des populations toujours interrogatives sur l’avenir du projet Bélinga.

Omar Bongo Ondimba en avait fait son principal thème de campagne électorale lors de la présidentielle de 2005. Ali Bongo son successeur n’a pas tourné le dos au projet mais semble avoir d’autres priorités. 

Quant aux chinois, leur titre minier en poche, ils ne se pressent plus. Il n’y a pas l’ombre d’un seul chinois sur le terrain. La route ouverte dans le parc national de l’Ivindo pour acheminer le matériel vers les chutes de Kongou retenues pour accueillir un barrage hydroélectrique se referme tout doucement.

Selon des sources bien informées, la récente crise financière internationale ayant provoqué une mévente des matières premières a ralenti les élans des chinois. Pékin hésiterait à financer les lourds travaux préalables à l’exploitation du minerai. Il s’agit de construire un barrage hydroélectrique pour alimenter les futures usines de traitement du minerai, un chemin de fer d’environ 560 km pour évacuer le minerai de Bélinga à la mer. Puis un port en eau profonde à Santa Clara, au  nord de Libreville.

L’ampleur des investissements, environ 2000 milliards de dollars, en temps de crise aurait freiné les appétits du géant asiatique. Pékin use aujourd’hui des méthodes dilatoires pour faire patienter le gouvernement et les populations locales dont la majorité ne verra probablement pas les premiers wagonnets de fer quittant les monts Bélinga pour la Chine, l’Europe, bref le marché international.

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